Mes chers camarades, bien le bonjour ! Alors en ce moment dans l'actualité, c'est une dinguerie qui sort tous les jours, donc c'est compliqué de réagir à tous les propos, mais n'empêche qu'on a deux champions, Trump et Musk, qui sortent des trucs tous les jours, et il y a de quoi faire une vidéo à chaque fois, vraiment je pourrais monter une chaîne YouTube rien que pour réagir et préciser historiquement ce qui découle de leurs déclarations ! Bref, c’est pas un épisode réaction sur un propos en particulier, mais, quand même, je dois reconnaître que les deux compères, ils m'ont bien inspiré pour l'épisode qui arrive !
Parce qu'en effet, ils ont fait quelques déclarations sur l’espace, sur la conquête de Mars, etc. , qui m’ont posé des questions ! Parce que après tout, marcher sur Mars, ça peut faire rêver, mais tout dépend de qui en parle !
Si c’est un haut gradé de l’armée, là clairement, ça fait peur, on se dit qu’il va y avoir une militarisation, avec pourquoi pas des navettes, des satellites lance-missiles, etc. ! Quand c’est un État qui en parle, là il y a un risque par exemple de nationalisation et de conflits diplomatiques.
Mais quand c’est un multi-milliardaire, on peut craindre au contraire une privatisation de l’espace, comme dans la série "The Expanse", avec des corporations, des usines sur des astéroïdes, et même des grèves ! Alors du coup, j'ai une question : est-ce que, oui ou non, Elon Musk pourrait posséder Mars ? Est-ce que vous, vous pourriez devenir propriétaire sur la Lune ?
On peut se poser même d'autres questions : de quand ça date cette idée ? Et est-ce que, à travers notre histoire, il y a pas déjà eu pas mal de monde qui y a pensé ? Et si oui, c'était quoi leur but ?
Est-ce que c'était la guerre, la richesse, ou simplement le développement du savoir humain, pourquoi pas même faire tourner une page de l’Histoire à notre planète, voire à notre espèce toute entière ? On va être lucide : notre société est biberonnée au futurisme et au progressisme. L’occident a un imaginaire sociotechnique, c’est-à-dire une idée bien ancrée que l’humanité a connu et va continuer de connaître un progrès inexorable.
En gros, que notre technologie va, forcément, finir par balayer tous les obstacles devant nous. Du coup, l’idée de conquête spatiale apparaît dès la fin du 19e siècle, alors qu’on est encore au tout début de la littérature de science-fiction. À côté de ça, les premières recherches sérieuses démarrent via la création de sociétés savantes.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, elles réunissent les partisans de la conquête spatiale. Donc, oui, l’idée de coloniser l’espace date d’avant même les premières fusées, les tristement célèbres V1 et V2 allemandes. Bon après, faut dire que Jules Verne avait déjà planté le décor en 1865, avec son roman “De la Terre à la Lune”.
Mais attention : sa fiction ne parle pas d’un engin motorisé, simplement d’un genre de gros obus, un projectile creux. Et les aventuriers, dans l’habitacle, ne sont pas censés revenir, ni même forcément survivre ! Là, on parle d’une idée plus sérieuse de colonisation des corps célestes… Ou pas !
Comme ce jour du 4 janvier 1949, dans l’Illinois, où James Thomas Magan, un gars qui travaille dans les relations publiques, et qui proclame très officiellement la création de la "Nation of Celestial Space". Devant tout un parterre de journalistes, il dépose sa charte auprès de l’administration publique états-unienne. Alors, au début, les fonctionnaires ne savent pas vraiment trop quoi faire, mais 10 jours plus tard, ils doivent bien reconnaître la charte.
À partir de là, Magan s’autoproclame “Premier Représentant” de Celestia, sa propre nation qui revendique… bah juste tout l’espace, dans toutes les directions, à partir de la position actuelle de la Terre ! Magan entame ensuite des démarches auprès de 74 États, et de l’ONU, pour obtenir la reconnaissance de Celestia. Sauf que là, il joue dans la cour des grands, et plus dans l’Illinois, et sa demande est rejetée.
La raison ? Eh bien, Celestia ne répond pas aux exigences de l’article 4. 1.
de la Charte de l’ONU. À savoir : elle n’est pas un État. Ici et là sur la planète, on a quelques gouvernements qui sont gentils et polis, et qui vont prendre le temps de répondre au courrier de Magan.
Mais qu'on soit clair, il y en a aucune qui le reconnaît. Et pire : sans le savoir, en fait le gars vient de mettre un coup dans la fourmilière ! Eh ouais, en fait dans leur coin, plusieurs individus avaient déjà eu la même idée !
C’est le cas de Leo Brandt, marchand australien, qui affirme avoir entamé cette même démarche dès 1937. Quant à l’étudiant américain Charles Dickey, il revendique lui “la moitié sud de tout l’espace extra-atmosphérique” ! Pourquoi la moitié sud ?
Eh bah… à cause de la fin de la Guerre de Sécession américaine entre les États du Nord et du Sud ! Mais les choses sérieuses démarrent en 1957 : le 4 octobre, l’URSS est parvenu à envoyer Sputnik 1 dans l’espace. La colonisation spatiale devient alors une vraie affaire d'État, et en face, les USA tentent de rendre la pareil avec leur premier programme de sondes lunaires, Pioneer.
Et pourtant, ça n’arrête pas les tentatives individuelles, au contraire ! En 1959, un citoyen anglais prévient par courrier le président Eisenhower : légalement, certaines zones de la Lune lui appartiennent déjà depuis qu’il a mené des procédures en bonnes et dues forme auprès de certaines autorités britanniques. Les États-Unis sont avertis : elles n’ont qu’à bien se tenir, car il les tiendra pour responsables de tout dommage causé à sa propriété !
Bon alors, en fait, c’est toujours les mêmes gens qui font les mêmes choses : monter un dossier, le faire viser et reconnaître par une institution locale - qui n’a parfois pas vraiment le choix, et, de là, tenter de contourner les instances inter-étatiques, la reconnaissance internationale en gros, pour s’affirmer. Mais du coup, ça fait pas très sérieux : c’est monter une nation, en faisant comme si les autres nations n’existaient pas, comme si le dialogue entre États n'avait pas vraiment de poids. Et ce petit truc de malin, alors déjà ça marche pas, mais en plus ça va vite s’arrêter, tout simplement parce que les États vont commencer à se mettre d’accord entre eux.
Il faut dire que le 12 septembre 1959, on entre dans les choses vraiment sérieuses : avec la mission Luna 2, les Soviétiques sont les premiers à poser des objets sur la Lune. Il s’agit simplement de plusieurs sphères d’acier inoxydable. Sauf qu’elles sont gravées : une date, et les emblèmes de l’Union soviétique: CCCP, le marteau, et la faucille.
C’est exactement le même geste que les anciens colonisateurs européens, lorsqu’ils plantaient leur drapeau. Et que, très légalement, ils faisaient ainsi reconnaître leur propriété à leurs concurrents. Donc là, attention !
Le droit entre dans la partie : est-ce que, oui ou non, ces boules de métal font de la Lune une vraie propriété soviétique ? Il faut dire que certains auteurs considéraient déjà cette modalité d’appropriation comme très sérieuses : par exemple, dans le "Mechanix Illustrated" de février 1957, le journaliste Pierre John Huss, appelait déjà Washington à revendiquer la Lune en lançant dessus un drapeau - et c’était pas des blagues ! Enfin, il y en a un qui a fait une blague, et attention au tacle violent : du 15 au 29 septembre 1959, le président de l’URSS Khrouchtchev est en visite aux États-Unis, et dès le premier dîner officiel, il offre à Eisenhower… une réplique des fameuses sphères d’acier, posant calmement sur la table la preuve physique de la supériorité spatiale de l’URSS !
Les journalistes commencent à prendre le truc au sérieux. Le 16 septembre, en conférence de presse, ils demandent à Khrouchtchev si cet envoi, oui ou non, indique une vraie volonté de revendiquer la possession de la lune. Le président répond par un clash encore plus gros et un peu moqueur : “Je ne veux offenser personne, mais je dirais que cette question reflète la psychologie capitaliste d’une personne pensant en termes de propriété privée.
[. . .
] Nous considérons cela comme notre victoire, c'est-à-dire la victoire non seulement de notre pays, mais de tous les pays de toute l'humanité. ” Alors plus sérieusement, au-delà de la punchline, de la blague, et de l'hypocrisie, il y a quand même déjà une première idée qui est posée : en matière d’espace, revendiquer une propriété privée, ça serait une mauvaise idée. En février 1966, c’est encore l’URSS qui pose pour la première fois une sonde sur le sol lunaire, en récoltant des photos de sa surface.
Aussitôt, le président de l’Académie des Sciences de l’URSS, Mstislav Keldych, le répète : l’Union soviétique ne réclame aucune propriété. Après les romanciers, les particuliers, les politiques, et les journalistes, c’est maintenant à l’ONU de se pencher sur la question. Le 20 décembre 1961, est voté le rejet de toute “appropriation nationale” sur “l’espace extra-atmosphérique et [les] corps célestes”.
En 1963, une Déclaration est mise en place pour encadrer les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique. Il n'y a pas moyen de proclamer une souveraineté, “ni par voie d’utilisation ou d’occupation, ni par tout autre moyen. ” En 1966, un nouveau traité répète encore une troisième fois ce principe, insistant bien sur les corps célestes, et en particulier sur la Lune.
Bon alors apparemment, là, c’est clair, c’est posé, et tout le monde est d’accord ! Sauf que ça serait trop cool, trop facile ! Il y a pas mal de questions qui restent en suspens, on a pas mal de détails, voire même de paradoxes qui restent à traiter !
Tiens, par exemple : qu’en est-il des acteurs privés ? Les entreprises privées peuvent-elles mener leurs activités dans l’espace ? À l’époque, durant les débats de l’ONU, les États-Unis sont évidemment pour, tandis que les Soviétiques et leurs alliés s’y opposent.
Alors, on finit par trouver un compromis : oui, des privés peuvent bosser dans l’espace. Mais attention : chaque État reste entièrement responsable de ses ressortissants. C'est donc aux États de contrôler l’application du droit, et donc, de donner son autorisation ou non !
On reste alors tous sous tutelle de nos pays, et on ne fait pas ce qu’on veut dans l’espace - même pas voyager ! En fait, c’est pas tellement un moitié-moitié entre communistes et capitalistes : c’est plutôt un vrai consensus qui se dégage. Le domaine de la haute technologie, à l’époque, c’est souvent le terrain de jeu des États, parce que ça coûte énormément, et ça rapporte pas forcément beaucoup.
C’est le cas de l’espace, mais c'est aussi le cas du nucléaire par exemple. Et même de nos jours, même au cœur des États-Unis capitalistes, eh bien c’est encore le cas : le gouvernement reste très engagé dans les secteurs spatial et nucléaire. À l’Est comme à l’Ouest, tout ça paraît bien naturel, presque évident.
Par contre, il reste un paradoxe au niveau du droit, puisque d’un côté, l’espace ne peut pas être “approprié”. Mais de l’autre, il peut être “exploré et utilisé librement”. Mais alors comment on peut exploiter ce qu’on peut pas s’approprier ?
Eh bah, bienvenue dans les années 70, où on va tenter de définir un nouveau truc : le “patrimoine commun de l’humanité”, qui est censé internationaliser les corps célestes ! En 1979, l’Accord sur la Lune essaie d’empêcher définitivement toute appropriation, nationale comme privée. Aux États-Unis, cet accord est porté par le Département d’État et par la NASA.
Mais évidemment, des acteurs privés s’y opposent vigoureusement, notamment dans le secteur minier, parce que on sait jamais, un jour ça pourrait être intéressant d’aller creuser le sol d’une planète ou d’un astéroïde ! En 1975, est fondée la L5 Society, qui veut promouvoir la conquête spatiale, mais de façon libertarienne. Ils poussent le lobbying à fond auprès des élus, et finalement, l’Accord sur la Lune n’est pas ratifié !
Et depuis, plus aucun traité de l’espace n’a été signé à l’ONU. Une lutte d’un demi-siècle s’engage alors : ok, le précédent Traité sur l’espace a été signé, lui, mais question : comment l’interpréter ? Si on ne peut pas s’approprier l’espace, est-ce qu’on ne pourrait pas en revanche s’approprier les ressources de l’espace ?
Et là c’est reparti pour un tour, avec de nouvelles revendications individuelles : en 1980, Dennis Hope fonde la Lunar Embassy, et dépose une revendication de propriété auprès de l’administration du San Francisco County. Il a bien écrit à l’ONU, il y avait pas de réponse ! Donc, il commence tranquillement à vendre aux particuliers des parcelles de la Lune, mais aussi de Vénus, de Mars, ou encore de Jupiter !
En 2004, il se proclame même Président du “Gouvernement galactique”, et il proteste contre tout projet de base lunaire. Alors évidemment on ne lui répond pas, mais pendant ce temps là, il continue de se faire du fric ! En 2010, l’Espagnole Angeles Duran décide de l’imiter, et se proclame propriétaire… du Soleil, rien de moins !
Un notaire enregistre sa revendication, et depuis, elle aussi, elle vend des parcelles du Soleil ! En 1996, la NASA avait envoyé la sonde NEAR Shoemaker vers l’astéroïde 433 Eros. Alors, quelques années plus tard, un certain Greg Nimitz se dépêche de revendiquer la propriété de cette astéroïde très précise, auprès du registre numérique de l’Archimedes Institute.
Puis, quand la sonde atterrit enfin à destination, le 12 février 2001, eh bah hop, il adresse une facture à la NASA de 20 dollars ! On imagine que c’est le ticket de parking ! En tout cas, la NASA va refuser, mais aussi le Département d’État, et même le tribunal fédéral du Nevada, parce que oui, le gars a quand même tenté de leur faire un procès !
Bien sûr, toutes ces initiatives n’aboutissent pas pour une raison très simple : elles contreviennent tout simplement au Traité de l’espace, en essayant de faire croire que ce Traité ne concerne que les États et les entreprises, et non les citoyens. Alors évidemment, c’est faux, mais mine de rien, ça entretient cette fausse idée reçue. Dans les années 2000, cette campagne de long terme monte enfin en puissance : en 2004, Georges W.
Bush organise une commission de hauts fonctionnaires, de militaires, de scientifiques, et de cadres de l’industrie spatiale. Leur cible est désignée : ils veulent faire éclater le Traité sur l’espace, comme un obstacle indésirable sur la route de l’exploitation des ressources spatiales. Là on parle quand même du pouvoir présidentiel américain, ça rigole plus !
Et dans la foulée, des entreprises sont créées uniquement dans cette optique, comme par exemple Planetary Resources, ou Deep Space Industries, désormais rachetée par Bradford Space. Et ils finissent par gagner la partie : le SPACE Act de 2015, sous Obama, puis l’Executive Order de 2020, sous Trump, permettent aux citoyens états-uniens d’exploiter les ressources spatiales. Mis devant le fait accompli, plusieurs États les imitent alors : le Luxembourg en 2017, le Japon en 2021, et plus généralement tous les alliés des Américains ayant signé les Accords Artemis.
Ces accords régissent l’activité sur la Lune, avec l’autorisation d’exploiter ses ressources, et la création de “zones de sécurité” autour des sites d’atterrissage. Bon alors, faut quand même nuancer un petit peu : voilà, c’est pas de “l’appropriation territoriale”, non, c’est juste de “l’occupation exclusive” ! Et tout de suite quand on le dit comme ça, on est rassurés !
En fait, on a complètement basculé : dans les années 60-70, c’était le cadre universel de l’ONU. Et là, eh bah c’est le multilatéralisme… mais entre alliés quoi ! Voilà maintenant, on a nos réponses : est-ce qu’un Elon Musk peut s’approprier Mars ?
Eh bah non, parce que tout simplement le Traité de l’espace reste en vigueur. En fait, il devrait demander une autorisation aux États-Unis, qui seraient alors responsables de ses actes ! Et donc, il pourrait faire tout ce qu’il veut niveau ressources, mais il n’en tirerait jamais un titre de propriété, ce qui nous fait une belle jambe !
Et vous alors du coup ? Eh bah non plus : États, entreprises, citoyens, citoyennes, si vous avez acheté un titre de propriété dans l’espace, eh bah vous vous êtes bien fait arnaqué, et ça vaut rien du tout ! En tout cas, pour l’instant… Merci en tout cas à François Rulier, qui nous a apporté plein d’éclairages et tout son travail rigoureux pour ce script !
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