Starlink, tout le monde en parle. On l’a vu dans des vidéos sponsorisées, mais aussi lors de la guerre en Ukraine, mais qu’en est-il vraiment? Aujourd’hui, je vous propose une enquête sur la réalité de Starlink, au travers de faits et d’études scientifiques, et les dangers des mega constellations en orbite basse en général.
Générique Starlink, une initiative développée par SpaceX, la société d'Elon Musk, vise à révolutionner l'accès à Internet à travers le monde. Lancé en 2015, ce projet se distingue par son approche : utiliser une constellation de milliers de satellites en orbite basse pour fournir une connexion Internet à haut débit, même dans les zones les plus reculées du globe. À ce jour, SpaceX a déjà déployé plus de 6 000 satellites en orbite*, formant un réseau dense capable de couvrir une large partie de la planète.
Contrairement aux satellites traditionnels en orbite géostationnaire, situés à environ 36 000 kilomètres de la Terre, les satellites Starlink opèrent à une altitude moyenne de 450 kilomètres. Cette proximité réduit considérablement la latence, ou “ping”, offrant ainsi une connexion plus rapide et réactive, ce qui peut être utile pour le jeu en ligne, ou le trading haute fréquence, le HFT, mais aussi les connexions maritimes, aériennes et militaires dans les régions où l'infrastructure terrestre est insuffisante ou inexistante. Pour le client, cela consiste en une antenne vendue sous forme de kit et à installer soi-même, d’une valeur de 349€ pour la version fixe, et 2867€ pour la version mobile/nomade.
Les abonnements varient également entre fixe et nomade, et entre les offres particulier ou entreprise, allant de 40€ par mois pour un particulier sans priorité de débit, jusqu’à 4713€ par mois pour du nomade prioritaire de 5 To maximum. Et justement, parlons du débit. Chaque satellite reçoit un débit d’une station relai au sol, comme ici à Villenave-d’Ornon.
Cette station va donc envoyer un débit donné et limité à plusieurs satellites qui survolent la zone, et ce débit sera distribué entre les satellites et renvoyé aux antennes des clients de façon également partagée. Cependant, ce partage n’est pas équitable. Le débit reçu par les clients va dépendre de la distance avec le Starlink le plus proche, mais aussi le nombre de clients autour de lui.
Si François, à Nantes, et Hans, à Düsseldorf, sont connectés au même Starlink qui se trouve au dessus de Rennes, François aura donc un meilleur débit qu’Hans, jusqu’à ce que le satellite soit plus proche de Düsseldorf, et encore, si on ne prend pas en compte le nombre de clients total connectés à ce Starlink particulier. Pour garantir un bon débit malgré le nombre de clients, il faut donc avoir un nombre très important de satellites mais aussi de stations relai, placés stratégiquement un peu partout sur Terre pour garantir un délai, ou “ping”, le plus rapide possible, et que ces stations relai envoient un débit particulièrement important pour qu’une fois partagé entre les satellites et entre les clients, la fraction de ce débit arrivant au client soit suffisamment rapide. De nombreuses congestions de trafic sont donc relevées ces dernières années sur le réseau, et les relevés de débit effectués par les utilisateurs fluctuent énormément et ont tendance à s’effondrer dans ou à proximité des villes.
La solution à la congestion est donc d’augmenter en permanence le nombre de satellites et de stations relai au sol, ce qui explique le nombre faramineux de satellites prévus par Starlink, environ 42 000. Mais ce n’est pas la seule raison. Les solutions d’Internet par satellite étaient jusque là assez simples : On place une poignée de satellites en orbite géostationnaire, à 36 000 kilomètres d’altitude, ce qui offre une couverture quasi complète du globe mais offre une latence plutôt lente, le signal parcourant une très longue distance.
Avec une constellation de Starlink en orbite basse, la latence est bien moindre, une variable qui n’est utilise que dans des cas très précis, comme le jeu en ligne et le trading haute fréquence, ce qui, pour être honnête, sont plutôt pratiqués dans des villes, déjà équipées en fibre. Parmi les offres concurrentes en géostationnaire, nous avons par exemple Nordnet, qui repose sur la constellation Eutelsat en orbite géostationnaire. Pour couvrir de l’Islande à Dubai, un seul satellite est utilisé, en l’occurence Konnect VTHS.
L’offre ayant un débit théorique similaire à Starlink est plus chère, à 80€ par mois, mais comprend d’autres services, comme un forfait télévision et téléphonie mobile. De plus Nordnet, comme la plupart des autres opérateurs classiques, est éligible à l’aide d’Etat “Cohésion numérique des territoires”, qui finance l’installation des équipements ou leur achat. Ces solutions n’ont donc que la latence comme désavantage par rapport à Starlink.
En revanche, en orbite basse, les satellites sont encore légèrement ralentis par ce qu’il reste d’atmosphère. La Station Spatiale Internationale par exemple, qui évolue dans les mêmes altitudes que les Starlink, doit régulièrement allumer ses moteurs pour se réhausser et compenser la perte d’altitude. Il est en de même pour les Starlink, dotés de moteurs et d’une faible quantité de carburant, mais contrairement à l’ISS, ils ne sont pas ravitaillés.
Une fois à court de carburant, ils vont graduellement perdre de l’altitude avant de brûler dans l’atmosphère. Il faut donc renouveler régulièrement les satellites, dont la durée de vie est au maximum de 5 ans. Les lancements sont donc constants, et n’arrêteront pas tant que Starlink existera, et forcément, plus on augmentera le nombre de satellites pour garantir un bon débit, plus il faudra réaliser de lancements pour conserver le nombre de satellites dans le temps.
Un cercle vicieux très gourmand du point de vue écologique et logistique. Et forcément, c’est aussi couteux pour SpaceX. Selon des experts du secteur, chaque antenne de réception coute environ 600 dollars à produire auprès de sous traitants.
Si cela coute 600 dollars à Starlink de concevoir une seule parabole et qu’ils la vendent à peu près 400 dollars, cela veut dire que Starlink perd environ 200 dollars par client, et l’entreprise peut recouvrer cette perte via les frais d’abonnement de 40 dollars par mois. Vu que Starlink dit avoir 3 000 000 clients actuellement, cela veut dire que l’entreprise devra payer 600 millions de dollars en frais d’équipement, juste pour les envoyer aux clients. Mais ce n’est que le sommet du gouffre d’argent.
Seules les Falcon 9 assurent les lancements de Starlink, 60 par 60. Pour en mettre 42 000 en orbite, il faudrait donc 700 falcon 9. Le cout de lancement d’un lot de Starlink via Falcon 9 est estimé à 50 millions de dollars selon Eurospace.
Pour 700 lancements, cela donne un total de 35 milliards de dollars uniquement pour une constellation de 42 000 satellites, à renouveler tous les 5 ans. On ne compte pas dans ce calcul le nombre de satellites perdus ou à la durée de vie compromise, estimé à 3% de la flotte, ce qui obligerait SpaceX a en lancer 1260 de plus par an pour garantir une constellation à son maximum, ce qui ajouterait un peu plus d’un milliard de dollars par an. Cela donne un cout de 7 milliards par an rien que pour la constellation, ce qui ne compte pas non plus les salaires des employés, les stations au sol dans les différents pays, et la production des antennes client.
Ils faut donc proposer des forfaits plus chers, comme les offres nomades et maritimes, mais aussi avoir des contrats gouvernementaux. Malgré cela, pour amortir ces coûts faramineux, Starlink aura besoin de plus de clients, ce qui augmentera le besoin d’équipement et de satellites pour le débit, ce qui coutera plus d’argent, et demandera plus de clients, et le cercle vicieux continue. Remplacer une constellation de 42 000 satellites tous les 5 ans génère un autre problème.
Un satellite Starlink mini v2, actuellement en déploiement, pèse 790kg en moyenne, cela signifie que tous les 5 ans, près de 33 000 tonnes de déchets de Starlink rentreront sur Terre, soit 6 600 tonnes par an en moyenne. Une étude récente, publiée dans la revue Geophysical Research Letters, a démontré que lors de la rentrée d’un Starlink V1, l’ancienne génération de 260kg, 30 kilos d’oxyde d’aluminium étaient relâchés sous forme de particule dans la couche d’ozone. Avec les Starlink V2, cela porterait par extrapolation à 94 kilos d’oxyde d’aluminium par rentrée atmosphérique.
Sur une constellation de 42 000 satellites, cela donnerait environ 4 tonnes dans la couche d’ozone sur 5 ans, soit 789 tonnes par an. Selon les scientifiques, “Les oxydes d'aluminium déclenchent des réactions chimiques qui détruisent l'ozone stratosphérique qui protège la Terre des rayons UV nocifs. Les oxydes ne réagissent pas chimiquement avec les molécules d'ozone, mais déclenchent plutôt des réactions destructrices entre l'ozone et le chlore, qui appauvrissent la couche d'ozone.
Comme les oxydes d'aluminium ne sont pas consommés par ces réactions chimiques, ils peuvent continuer à détruire des molécules d'ozone pendant des décennies, alors qu'ils dérivent à travers la stratosphère. ”. Une bombe à retardement selon les scientifiques, qui constatent déjà une augmentation de plus de 600% du taux d’oxyde d’aluminium dans les hautes couches de l’atmosphère depuis les premiers déploiement de Starlink.
C’est le premier des quatres grandes menaces que constituent les mega constellations en orbite basse. En 1978 le scientifique américain Donald Kessler a proposé un scénario théorique dans lequel l’orbite terrestre serait encombrée de satellites morts et autres débris, à un tel point qu’une collision entre deux objets créeraient de plus petits débris allant dans toutes les directions, heurtant d’autres satellites, etc etc, causant une immense réaction en chaine qui finirait par détruire tout objet en orbite. Evidemment, ajouter 42 000 satellites sur une orbite aussi occupée que l’orbite basse, avec l’ISS, Hubble, la station spatiale chinoise mais aussi les satellites scientifiques, ne fait qu’augmenter le risque de collision.
Pour surveiller cela, l’ESA et d’autres agences surveillent les trajectoires des objets repérables en orbite, et en cas de risque élevé de convergence, peut utiliser les moteurs d’un satellite ou d’une station pour se détourner de la trajectoire. En 2019, au tout début du déploiement de Starlink, le satellite scientifique AEOLUS de l’Agence Spatiale Européenne s’est retrouvé menacé par un Starlink, qui a été placé sur la même trajectoire par SpaceX pour un essai de désorbitation. L’ESA, voyant le risque élevé de collision, a alors demandé à SpaceX de détourner son satellite, ce que l’entreprise américaine a refusé.
Les moteurs d’Aeolus, utilisés normalement pour le maintenir en orbite, ont du être utilisés pour changer de trajectoire, consommant un carburant précieux et réduisant donc son espérance de vie. Deux ans plus tard, la Chine a déposé une plainte auprès du Bureau des affaires spatiales des Nations Unies, rapportant deux collisions évitées de peu entre des satellites Starlink et la Station Spatiale Chinoise, le 1er juillet et le 21 octobre 2021. En 2023, un article de Space.
com révèle que les satellites de Starlink ont du réaliser plus de 25 000 manoeuvres d’évitement en seulement 6 mois, et un total de 50 000 depuis 2019, un chiffre qui ne fera qu’augmenter avec le déploiement de plus de Starlink, mais aussi des constellations concurrentes comme Guowang et Kuiper. Hugh Lewis, professeur d’astronautique de l’Université de Southampton, estime que ce nombre devrait doubler tous les 6 mois, atteignant près d’un million de manoeuvres d’évitement lors des 6 premiers mois en 2028, et seulement pour Starlink. Cela pose donc un grave problème pour l’avenir de l’exploration spatiale en général, l’orbite basse étant pour l’instant un avant poste scientifique important, utilisé notamment pour la science terrestre et la surveillance du climat, mais aussi les activités des astronautes sur les stations spatiales.
C’est la seconde menace de ces mega constellations. En parlant de science, Starlink a dès le début généré une certaine colère de la part des astronomes et astrophysiciens. Contrairement aux satellites géostationnaires, les satellites en orbite basse réfléchissent énormément de lumière, et traversent le ciel à l’oeil nu.
C’est ce qui fait que n’importe qui peut voir la Station Spatiale Internationale sans effort lorsqu’elle passe au dessus de l’Europe. Les astronomes sont habitués à ce passages, jusque là prévisibles et peu fréquents, mais depuis que Starlink a commencé ses déploiements, ces satellites quadrillent le ciel en permanence et donnent des résultats comme ceux-ci sur les écrans des télescopes scientifiques. SpaceX a beaucoup communiqué sur le fait d’avoir rendu ses satellites presque invisibles à la vue des télescopes terrestres, mais les clichés partagés par les scientifiques ont tendance à démentir cette affirmation.
Je vous mets en description un excellent papier rédigé par Roland Lehoucq et d’autres scientifiques sur le sujet. Nous avons donc évoqué trois menaces des mega constellations, que ce soit sur l’environnement, l’orbite basse et la science. Mais il y en a une quatrième.
Et elle est plus… géopolitique. Pour cela, revenons en 2022. Peu après l’invasion de l’Ukraine, Elon Musk annonce que SpaceX offrira gratuitement des terminaux Starlink et une couverture internet à l’Ukraine pour garantir Internet aux civils ukrainiens.
En réalité, il s’agit là d’un premier mensonge. Ces terminaux et leur acheminement ont été payés par l’USAID, organisme d’aide gouvernementale américain, et d’autres gouvernements dont la France. Sur les dizaines de milliers de terminaux achetés par les gouvernements et envoyés en ukraine, seuls 3670 ont été offerts par SpaceX, ce qui n’est pas tout à fait un don puisque les autres terminaux ont été vendus aux gouvernements à des prix 3 fois plus élevés que la normale.
Plus tard Musk annoncera limiter Starlink pour éviter tout usage militaire, limitant également son usage civil. Aujourd’hui, la majorité des abonnements Starlink en Ukraine sont financés par des campagnes de dons. Avec ces magouilles et changements de décision, tout en essayant d’instaurer un contrôle sur l’utilisation des communications dans un pays en guerre, on peut sérieusement se poser la question de la souveraineté d’un pays si jamais il venait à utiliser Starlink pour ses communications militaires.
Faire confiance à une telle solution mettrait en péril la liberté d’action de forces militaires, et ce au bon vouloir d’une entreprise. Voilà donc les quatres menaces que posent les mega constellations. Pourtant, Starlink redouble d’efforts pour gagner des clients.
SpaceX a sponsorisé des vidéos de youtubeurs, y compris en France, et vous avez surement vu des publicités de Starlink sur Instagram notamment. D’autres entreprises mais aussi des gouvernements se lancent également dans les mega constellations, ce qui ne fera que multiplier l’intensité des problèmes déjà soulevés par Starlink seul. Que ce soit pour l’environnement, la sureté en orbite basse, ou encore l’astronomie, l’avenir s’annonce bien sombre si ces projets ne sont pas rapidement stoppés.
Car de toute façon, derrière l’apparente volonté d’offrir Internet aux zones les plus défavorisées et démunies techniquement du Monde, il semblerait que Starlink ne soit qu’un de ces projets qui ne bénéficie qu’à une élite, prête à payer pour un service trop inaccessible pour le commun des mortels, et à l’utilité questionnable au vu du nombre de problèmes qu’il pose. Générique J’espère que cette vidéo vous a plu, elle était initialement prévue pour 2021 mais au final j’ai bien fait d’attendre, car de nouveaux éléments ont pu être apportés. Ce script a d'ailleurs été écrit en direct avec votre aide sur ma chaine Twitch que vous trouverez en description !
Merci pour votre soutien et vos dons sur Kofi et Patreon, qui aident vraiment la chaine ! On se retrouve très vite pour une nouvelle vidéo, ciao !