Traducteur: Kara Legrand Relecteur: Maricene Crus Qui a déjà souffert des préjugés ? Saviez-vous que les préjugés peuvent être utilisés comme un outil pour former les cerveaux pensants ? Je suis la fille d'un tanneur et d'une employée de maison.
Dans la ville de Franca, le patron de la tannerie où mon père travaillait lui a donné une maison. une petite maison sur le terrain, à l'intérieur de la tannerie, pour qu'il puisse y habiter avec sa famille. C'est dans cette maison que je suis née.
Et c'est dans cette maison, en regardant le travail du chimiste que je suis tombée amoureuse de la chimie, dès mon enfance, parce que je le voyais travailler avec une blouse blanche. Depuis, j'ai toujours dit : « Je veux faire de la chimie, travailler à la tannerie et porter une blouse blanche ! » C'était pour moi, le plus bel uniforme que j'avais vu dans ma vie.
Ma mère, comme je l'ai dit, travaillait comme employée domestique. Quand j'ai eu environ trois ans et demi, elle a changé de travail pour travailler dans une très grande maison. Elle m'emmenait avec elle et pour que je reste calme, elle m'a appris à lire le journal qui arrivait à la maison : le « O Estado de São Paulo », « O Estadão ».
Ma mère a étudié jusqu'en 4e année seulement. Autrefois le primaire, aujourd'hui le fondamental ; et mon père jusqu'en 5e année. Elle m'apprenait les mots et je prenais des crayons de couleurs pour colorier les mots qui se ressemblaient plus ou moins.
Jusqu'au jour où, la patronne de ma mère, une directrice d'école est venue dans la petite pièce où j'étais et m'a dit : « C'est ravissant ! Tu colories le journal ? » J'ai répondu : « Non, je suis en train de lire !
» Elle était stupéfaite ! Elle m'a demandé mon âge et m'a demandé de lire un texte : « Alors, lis moi ceci. » Je lui ai lu le texte parfaitement.
Et à partir de là, j'ai eu ma première opportunité dans la vie. C'était déjà le début de l'année et j'avais déjà 4 ans. Elle a demandé à ma mère : « Je peux la prendre à l'école pendant une semaine ?
Si elle suit, la place est pour elle ! » Et c'est ce qui s'est passé. J'ai commencé la première année de l'enseignement fondamental à l'âge de quatre ans.
Et je n'ai plus arrêté d'étudier ! Jusqu'à l'enseignement moyen, nous avons subi beaucoup d'humiliations en plus d'autres humiliations dont nous avons souffert à l'école. Mon père a dit : « Je ne vais pas te changer d'école, tu vas étudier tu vas rester dans cette école tu vas étudier et montrer que tu vas devenir quelqu'un dans la vie.
Étudie pour obtenir la meilleure note de la classe ! » Je suis sortie de l'enseignement moyen, je suis entrée à l'USP, à Unicamp et à Unesp à l'âge de 14 ans. (Applaudissements) Nous étions heureux de la vie, et j'ai commencé à me poser des questions.
J'ai discuté avec mes professeurs, et j'ai choisi Unicamp. Mais comment vivre à Campinas ? Nous y avons été pour m'inscrire.
Nous avons trouvé une pension, mais elle n'incluait pas la nourriture, le petit déjeuner, rien de tout cela. Mais l'université était à temps complet et je déjeunais tous les jours à Unicamp. Le petit pain qu'on avait tous les jours sur nos plateaux, je le prenais pour le soir ; c'était mon dîner à la pension.
Il y avait toujours un fruit, une banane ou une orange. Je le prenais aussi, pour mon dîner. Mais après la première semaine, j'étais à nouveau inquiète.
Qu'est-ce que j'allais manger le week-end ? À la pension, aucune nourriture n'était incluse. Mais je ne ressentais aucune honte !
Alors, je suis allée parler aux dames de la cantine, j'ai expliqué ma situation et je leur ai demandé si tous les vendredis elles pouvaient me mettre de côté des petits pains pour manger le week-end. Donc chaque vendredi, à l'heure où je passais pour prendre mon repas, elles m'avaient mis de côté un petit sac avec sept, huit voire neuf petits pains, et c'était ma nourriture du week-end. J'avais hâte d'être lundi pour pouvoir déjeuner à la cafétéria.
(Rires) C'était comme ça. Au deuxième semestre, j'ai obtenu une bourse d'initiation à la recherche. À partir de ce moment là, tout à commencé à s'améliorer.
J'ai même réussi à donner entre 50 R$ et 100 R$ à ma mère ! Elle était très contente. J'ai obtenu mon diplôme à 17 ans.
J'ai commencé mon master. C'était un projet pour Petrobras dans la ville de Paulina, près de Campinas. Ils avaient un problème avec le kérosène d'aviation et ils avaient demandé à Unicamp de le résoudre.
Ce fut le sujet de trois thèses, dont la mienne. J'ai obtenu mon master. Je voulais travailler dans la synthèse de produits pharmaceutiques.
J'ai changé de tuteur. Le tuteur m'a même dit : « Joana, je me suis associé avec un professeur de l'Université de Clemson, en Caroline du Sud, et en fonction de l'avancement de votre travail vous pouvez y rester un an, dans le cadre de vos recherches. » C'est ce qui est arrivé.
Mes recherches avançaient bien et mon tuteur m'a invitée pour en parler : « Joana, asseyons-nous, on va discuter. Je pense que vous pouvez aller à l'Université de Clemson, en Caroline du Sud, mais il faut que je vous prévienne que c'est un État extrêmement raciste. Je vous préviens juste pour éviter que vous me reprochiez : « Pourquoi vous ne m'avez pas prévenue ?
» Et j'y suis allée ! Ce fut la pire année de ma vie. J'ai traversé cette année comme une fantôme, invisible.
Pourquoi ? J'habitais dans un logement près de l'université et là-bas, le racisme est si fort qu'il se transmet de père en fils. C'est quelque chose d'enraciné dans la tête des gens.
Quand je venais pour une photocopie, personne ne me regardait. Quand un blanc demandait une photocopie, on la lui faisait. J'ai eu de la chance parce qu'il y avait cinq Européens ; c'était mes amis.
Mes seuls amis étaient mon tuteur et ces cinq Européens. Cette année là, j'ai trop souffert. mais j'ai tenu bon, parce que j'apprenais beaucoup de choses.
J'ai beaucoup souffert mais finalement j'ai eu une récompense. Laquelle ? Nous avons publié notre travail dans les meilleures revues américaines et j'ai été invitée à faire un post-doctorat à Harvard.
Si j'avais abandonné, je n'aurais jamais été invitée. Je suis ensuite revenue à Unicamp, j'ai fini mon doctorat et je suis allée à Harvard pour le post-doctorat. C'était un projet de recherche de deux ans, mais malheureusement, au bout d'un an et demi environ, ma sœur et mon père sont décédés en l'espace d'un mois.
J'ai dû faire l'aller-retour, finir le post-doctorat mais pendant ce temps, ma mère est tombée très malade. J'ai donc pris la décision de rentrer au Brésil pour m'occuper de ma mère. Dans cette période de tristesse, j'ai reçu une invitation pour travailler à l'école technique.
Un message important que je veux aussi vous transmettre, c'est que dans mon parcours, j'ai toujours dit : « Non à la victimisation ! » Je me suis servie de tout ce qui m'a fait souffrir : l'humiliation, les préjugés, les insultes ou la foi sont des outils pour gagner dans la vie. 50 jours environ après mon arrivée à Franca, il y a eu un concours dans l'école technique.
J'ai fait ce concours, je l'ai réussi et j'ai dit : « Je n'ai pas étudié à Harvard pour travailler dans une école technique. » La situation était démotivante : les étudiants, école buissonnière. Les étudiants étaient encore plus démotivés que moi.
C'était horrible ! (Rires) Puis un jour, j'ai appelé mon tuteur de Harvard et j'ai pris une grande claque. Il m'a dit : « Joana, réveille-toi et bouge tes fesses !
Ce n'est pas parce que tu as été à Harvard que tu dois travailler dans le meilleur laboratoire de recherche de la meilleure université. Tu peux faire la différence dans un lieu moins important que tu trouveras dans ta vie. » C'est à ce moment-là que j'ai commencé à me réveiller.
Qu'est-ce que je faisais là ? J'ai commencé à penser à ce que je pourrais faire de différent là-bas, parce que cette école se trouve dans une ferme, à la périphérie de la ville. La majorité des étudiants sont issus d'un milieu social très pauvre et beaucoup vivaient dans la précarité, avec des problèmes de drogues, de prostitution.
. . Alors je me suis demandé : « Comment changer cela ?
» J'ai eu une idée et j'ai dit : « L'initiation scientifique incluse traditionnellement dans le diplôme, je vais l'intégrer à l'éducation de base, à l'éducation technique. » J'ai commencé à faire ça et j'ai soumis un projet à la FAPESP qui est la Fondation de soutien à la Recherche de l'État de São Paulo. J'ai réussi à obtenir des bourses d'initiation scientifique et j'ai développé des projets avec les étudiants.
Le plus important c'est que j'ai réussi à faire travailler non pas le meilleur étudiant de la classe, qui est toujours présent. mais les plus mauvais : ceux qui ont les problèmes de drogue ou de prostitution. J'ai convoqué ces étudiants pour une réunion et j'ai commencé à travailler avec eux, avec ceux rejetés de tous.
J'ai dit : « Nous devons essayer de changer la vie de ces personnes sinon ils finiront en prison, ou enceinte très jeune. » J'ai décidé de combiner les problèmes de l'école, l'évasion, l'enseignement et l'apprentissage avec les problèmes de la ville de Franca : les déchets générés dans le secteur du cuir des chaussures, parce que Franca est réputée comme la capitale de la chaussure. Cette année, en 2018, Franca avait le projet de produire 27 milliards de paire de chaussures.
Quelque chose d'énorme donc. D'un autre côté, le quantité de déchets produite est très importante. Alors, j'ai développé un projet de recherche lié à ce problème endémique que sont les déchets produits dans la ville.
Pour vous donner une idée, dans cette chaîne de production des chaussures, des sacs, des tapis en cuir, de cuir pour les cabines de voiture. Les abattoirs envoient tous ce cuir à la tannerie pour y être travaillé et transformé, comme je l'ai déjà dit, en chaussures. Cette transformation génère 218 000 kg de déchets par jour dans la ville de Franca.
Autrement dit, la consommation journalière de la ville en eau est le double de ce qu'elle devrait être pour la ville, qui compte 370 000 habitants. Je me proposais de combiner tout ça en des projets pour les étudiants et résoudre ces problèmes. On a développé plusieurs projets de recherche, par exemple : on a réussi à extraire du collagène, ce produit merveilleux utilisé comme anti-rides dans l'industrie alimentaire, cosmétique et pharmaceutique qui coûte généralement sur le marché autour de 130 R$ le kilo.
On a réussi à extraire ce collagène des résidus de cuir que la tannerie devait déposer à la décharge et payer 0,80 R$ le kilo. On en a fait produit, et oui. .
. (Applaudissements) une chaussure antimicrobienne. Un jour, un élève m'a dit : « Ma mère a le diabète, et elle a des problèmes de crevasses aux pieds qui saignent tous les jours.
» On a développé des chaussures ou plutôt, on a acheté des éléments antimicrobiens et avec ça, accompagné d'un dermatologue, on a encapsulé ces antimicrobiens dans une enzyme, comme dans un petit verre. On a emballé ce produit sous couvercle. Quand on prépare le cuir, on met ce produit dans l'eau.
Il entre dans le cuir et fait partie de la chaussure. Et selon votre façon de marcher, ces enzymes contenant les antimicrobiens sortent du cuir et guérissent vos pieds. En fonction de la lésion, le traitement dure entre 25 et 45 jours.
Nous avons également développé un ciment osseux pour le remodelage, la reconstitution et la greffe osseuse. Imaginez quelqu'un qui a un accident de moto, par exemple, et qui perd un partie d'os de la jambe. En général, il gardera une jambe plus courte que l'autre.
Ce ciment osseux va corriger et va permettre tout ce remodelage. Le point important est qu'il favorise ensuite la croissance osseuse et qu'à mesure que l'os se développe, il absorbe ce ciment. Tout cela est déjà en cours de test dans les hôpitaux.
Je le répète encore une fois : tout cela a été accompli avec la participation d'élèves entre 14 et 18 ans. Un autre travail super important : de la peau humaine artificielle pour les greffes et tests pharmacologiques. Qu'est ce que ça nous a apporté de développer tout cela ?
Un jour, à la tannerie, nous avons été témoin d'un accident. Un employé portait un bidon de 20 litres d'acide sulfurique sans bouchon. Il est monté sur un échelle, il a glissé et l'acide s'est déversée sur lui.
Ça l'a rendu aveugle immédiatement et 95 % de son corps était brûlé. J'ai donné un mission aux élèves : chercher quelle peau animale se rapproche le plus de la peau humaine. Et nous avons trouvé que le peau porcine avait 78 % de compatibilité avec la peau humaine.
Nous avons réussi à transformer ces 78 % en 100 % de compatibilité. Lorsqu'elle est utilisée en greffe sur les grands brûlés, la peau reste à vie sur le patient car elle sert de structure de soutien à la peau du patient qui se développe par-dessus, et pour des questions d'esthétiques, elle est de couleur blanche. Nous sommes déjà en train de développer cette peau humaine artificielle proches des couleurs noire, rouge et jaune.
(Applaudissements) Investir dans l'éducation scientifique est la clé pour construire une société démocratique mais aussi humaine et durable. C'est par l'éducation seulement, que nous réussirons une transformation sociale réelle et en donnant une chance aux jeunes, ceux dont personne ne veut, ceux qui sont rejetés de tous. Parce qu'ils ressentent tout cela, ils viennent me dire : « Joana, personne ne fait attention à nous, on nous voit comme des moins-que-rien, et toi, tu nous donnes une chance.
» Quelque chose d'autre m'a marquée, quand un des étudiants a reçu la première bourse d'initiation scientifique, sa mère est venue à l'école pour nous remercier. L'étudiant avait veillé à arriver plus tôt pour me dire : « Joana, tu ne vas pas me croire ! Aujourd'hui ma mère a acheté 1 kg de saucisses pour le déjeuner » .
Vous voyez le bonheur des gens. Nous avons, pour le moment, 15 brevets internationaux dans 30 pays, 80 prix nationaux et internationaux. Tout cela ne représente que des chiffres, parce que ça ne veut rien dire par rapport aux trois prix que j'ai gagnés.
En 2016, un père est venu me voir pour me remercier. Sa fille de 15 ans était prostituée depuis ses 13 ans dans une ville proche de Franca. Il m'a dit : « Elle a commencé à faire l'initiation scientifique avec vous, qu'elle va devenir chercheuse et elle a quitté sa vie de prostitution.
» L'année dernière, en 2017, une mère est venue me voir pour me remercier : « Joana, mon fils de 16 ans avait l'habitude de faire l'école buissonnière pour vendre de la drogue. Il dit qu'il va devenir chercheur, il a voulu changer de vie, Nous avons même changé de quartier. » C'était intelligent de sa part.
« En changeant de quartier, il ne voit plus ses anciennes fréquentations. » Ces deux étudiants sont entrés en chimie à la fin de l'année à l'université fédérale de Triângulo Mineiro, à Uberaba ; ils vont devenir chimistes. Et un fait intéressant c'est que : parmi tous les élèves qui ont fait l'initiation scientifique avec moi la majorité fait de la chimie aujourd'hui à l'université.
(Applaudissements) Et le troisième prix, qui est très important : l'année dernière, j'ai donné une conférence à la fondation Casa, à Franca. J'avais quitté l'événement contrariée car j'ai vu là-bas des jeunes, des enfants de 12, 15 ans qui avaient commis des délits. Le mois dernier, le psychologue m'a appelée : « Joana, il y a trois garçons qui sont sur le point de partir et qui veulent aller à l'école, pour étudier et faire un projet d'initiation scientifique avec toi.
» Un avait tué, l'autre avait volé et le troisième était trafiquant. On avait réussi à planter une petite graine à l'intérieur de ces personnes. C'est possible !
L'éducation au Brésil a un avenir. C'est possible. La science au Brésil a un avenir.
C'est possible aussi. C'est possible de développer de la recherche de pointe dans une école publique, dans une école d'éducation fondamentale, dans l'enseignement technique. Il suffit que nous, professeurs et chercheurs, bougions nos fesses de notre chaise pour faire la différence.
Finalement, on a un labo où travailler, même si le plan de travail est en ciment, on ne vas pas se plaindre, d'accord ? La volonté vient de nous-même et chacun a une volonté différente. L'éducation est l'arme la plus puissante pour vaincre les obstacles de la vie.
J'ai montré comment le préjugé peut être utilisé comme un outil pour gagner dans la vie, pour former des cerveaux pensants, et pas pour se victimiser ou rester à se lamenter. Le Brésil a un avenir, nous devons juste faire confiance aux jeunes. Merci.