Pourquoi les politiques ne vont pas en prison ?

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Nicolas Sarkozy, François Fillon, Patrick Balkany... La liste des politiques condamnés à de la priso...
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Jérôme Cahuzac, ancien ministre du Budget, condamné à quatre ans de prison dont deux ferme pour fraude fiscale et blanchiment. Temps passé en prison : 0 jour. M'jid El Guerrab, ancien député condamné à trois ans de prison dont un ferme pour avoir tabassé un collègue député qui passera trois jours en réanimation.
Temps passé en prison : 0 jour. Etienne Dedieu, ancien maire de Saint-Lizier, condamné pour agression sexuelle sur octogénaire, prise illégale d'intérêt et vol de l'église du village. Temps passé en prison : 0 jour.
La liste des délinquants politiques qui n'ont jamais vu la prison est longue. Corruption, fraude fiscale, trafic d'influence. Depuis 2008, au moins 2270 élus ont été condamnés par la justice en France.
Parmi eux, plus de 700 ont été condamnés à de la prison ferme, mais seule une poignée d'entre eux a fini en cellule. Parmi eux, des têtes d'affiche comme Bernard Tapie, Claude Guéant et bien sûr Patrick Balkany. Mais de manière générale, rares sont ceux qui finissent en cellule et même quand ils sont condamnés.
Mais alors pourquoi si peu de politiques finissent derrière les barreaux ? La première raison, c'est que les politiques ne sont pas des justiciables comme les autres. Déjà, dans le grand jeu de la politique, tous les personnages ne se valent pas.
Le plus dur à attaquer, c'est le président de la République qui dispose de l'immunité. Ça veut dire que pour tout ce qu'il fait en tant que président, il est intouchable. On appelle ça l'irresponsabilité.
Si, dans le cadre de ses fonctions, je dis n'importe quoi, un président de la République donne une gifle à quelqu'un dans la rue, il ne se passe rien, c'est tout. La seule instance qui peut mettre en cause le président de la République, c'est le Parlement qui peut le destituer. Et ça, ça n'est jamais arrivé.
Et c'est peu probable que ça arrive un jour. Sachant qu'en général le président a la majorité à l'Assemblée nationale. Par contre, le président peut être jugé pour des faits qui ne sont pas liés à sa fonction.
Mais pour ça, il faudra attendre un mois après la fin de son mandat. On appelle ça l'inviolabilité. Pendant cinq ans, tout les procès qui ont pu ou qui pourraient être formés contre lui pour des actes de sa vie privée sont suspendus.
Donc quand Macron dit : Et bien, c'est juste pas possible, et c'est plutôt logique pour le dirigeant d'un pays. Que des filtres existent, c'est normal. Sauf que chez nous en France on n'a pas un filtre, on a un bouchon.
Avec son totem d'immunité, le président est intouchable. Enfin, presque. Nicolas Sarkozy, condamné à un an ferme.
Nicolas Sarkozy a été condamné. Nicolas Sarkozy est condamné. Sur les neuf affaires de Nicolas Sarkozy, l'immunité l'a sauvé deux fois.
Mais ça ne l'a pas empêché d'être condamné deux fois à des peines de prison ferme. Une première sous la Ve République. Le seul autre président à avoir été condamné à de la prison, c'est lui.
Mais Chirac n'avait pris que deux ans de sursis pour détournement de fonds et abus de confiance en 2011. Mais les présidents ne sont pas les seuls à avoir ce précieux totem. Les parlementaires, c'est-à-dire les députés et les sénateurs, l'ont aussi, mais il est un petit peu moins puissant.
Tout ça vient du XIXᵉ siècle. C'était au départ une protection démocratique. C'était pour éviter que les règlements de comptes politiques ou des règlements de comptes personnels, des vengeances, des choses comme ça, ne se traduisent par des plaintes au pénal.
Alors, qu'est ce qu'il se passe si un parlementaire commet une faute ? Eh bien, ses collègues vont pouvoir voter la levée de son immunité. Sous la Ve République, l'immunité parlementaire a été levée 49 fois.
D'ailleurs, la première fois, c'était en 1959 pour un certain François Mitterrand, alors sénateur de la Nièvre. Pour certains, c'est presque devenu une habitude. Jean-Marie Le Pen, sa fille Marine et Bernard Tapie, comptent trois levées d'immunité chacun.
Un record, quand on sait à quel point les parlementaires peuvent être frileux à l'idée de renvoyer les collègues devant la justice. Et c'est ça le plus gros problème avec le système d'immunité parlementaire. Prenons l'exemple de feu Serge Dassault, milliardaire et ex sénateur de l'Essonne, accusé entre autres d'achats de votes de corruption et même de tentative d'homicide.
Bon, là c'est plus des casseroles, c'est des marmites. Les 26 sénateurs chargés de se prononcer sur son immunité ont dû voter trois fois avant qu'elle ne soit levée. Ouais, ouais, trois fois.
En fait, comme le vote est secret, ses alliés de droite comme de gauche ont voté contre jusqu'à ce que, pour le troisième vote, on passe à un vote public à main levée. Et là, comme de par hasard, ils ont changé d'avis. Nous sommes attachés au secret du vote qui est, j'allais dire constitutionnel.
Imaginez que les personnes avec qui vous travaillez disent : "Attend cette personne elle pourrait avoir commis un crime, un délit. " Votre copain, votre copine, votre collègue ! Votre premier sentiment c'est de dire : "Attends, mais je la connais, je lui ai serré la main, je vais la revoir à la buvette de l'Assemblée la semaine prochaine, je vais la regarder dans les yeux.
Je vais lui dire quoi ? “J'ai voté contre ton immunité ? " C'est pas possible.
Il y a des rapports de proximité qui nécessairement, ce n'est pas une critique, c'est un fait, faussent le jugement et l'impartialité des personnes qui sont chargées de rendre une décision. Mais tout le monde n'a pas la chance d'avoir une immunité. L'élu local, lui, n'a pas de totem, mais ça ne l'empêche pas d'avoir un certain sens du spectacle.
Comme Xavier Dugoin, ex conseiller régional d'Essonne, qui a volé près de 1200 bouteilles dans les caves du conseil régional pour les revendre. Ou cet ancien maire d'Alsace qui a foutu le feu à quatorze caravanes de gens du voyage parce qu'elles stationnaient sur un terrain municipal. Bref, certains élus locaux sont loin d'être des citoyens exemplaires.
Le nombre d'élus poursuivis a été multiplié par quatre en 20 ans et entre 2014 et 2020, c'est près d'un maire sur 35 qui a été mis en cause au pénal. En gros, qu'on soit maire, député ou même président de la République, quand on ne respecte pas la loi, on va devant le tribunal correctionnel comme n'importe quel autre citoyen. Mais ça, ça n'est pas le cas des ministres et membres du gouvernement.
Pour eux, c'est différent. Ils disposent de leur propre Cour : la Cour de justice de la République. Une cour spécialement créée pour juger les membres du gouvernement, elle doit être très, très impartiale.
Ben non, pas vraiment, non. La Cour de justice de la République, c'est vraiment la French Touch en matière de responsabilité pénale du gouvernement. Un fonctionnement assez unique parce que devant cette Cour, les politiques sont jugés par des politiques.
Il y a quinze juges à la CJR, trois magistrats professionnels et douze parlementaires, six élus du Sénat et six de l'Assemblée nationale. Des parlementaires qui, de fait, connaissent les ministres pour avoir bossé avec eux au sein des mêmes partis. C'est une anomalie institutionnelle caractérisée.
Vous avez des amis, vous n'allez pas être juge de vos amis. Les politiques qui se jugent entre eux, c'est la principale critique qui est faite à la CJR. Dernier exemple en date, le procès d'Eric Dupond-Moretti, ministre de la Justice.
C'est la première fois que la CJR a jugé un ministre en exercice et dans ce procès, Paul Cassia était témoin. Il y avait, au sein de la Cour de justice de la République, des parlementaires qui étaient opposés politiquement à Monsieur Dupond-Moretti. Ces parlementaires ont un préjugé contre monsieur Dupond-Moretti et c'est bien normal.
Il y avait des parlementaires Renaissance et assimilés, donc de la même majorité politique que monsieur Dupond-Moretti, qui avaient sans doute un préjugé favorable à l'égard du ministre. Et c'est bien normal d'avoir un préjugé. Cette collusion d'intérêts est en elle-même contraire au droit à un procès équitable.
Depuis sa création en 1993, la CJR a jugé douze cas. Douze personnalités politiques de premier plan pour des faits allant de la corruption à l'escroquerie en passant par l'atteinte involontaire à la vie. Les juges n'ont prononcé de peine que pour cinq des douze personnalités politiques poursuivies.
Et même dans cette décision là, la clémence des juges a constamment été pointée du doigt. L'affaire Lagarde est une très bonne illustration de l'anachronisme de la Cour de justice de la République. En juillet 2008, l'État a été condamné à payer quelque chose comme 440 millions d'euros à Bernard Tapie.
Et cet arbitrage extrêmement défavorable au contribuable national a été validé par la ministre de l'Économie, madame Lagarde. Il se trouve que cet arbitrage était frauduleux et il a fallu chercher les responsables de cette fraude. Ces exécutants ont été condamnés par la juridiction pénale ordinaire, comme ils devaient l'être pour avoir été impliqués dans un arbitrage frauduleux.
Mais la responsable, elle, était justiciable de la Cour de justice de la République. madame Lagarde a été reconnue coupable, coupable de négligence, mais elle a été dispensée de peine. Bon, vous l'aurez compris, pas évident de juger des politiques en France.
Et même une fois devant le tribunal, ce qu'on observe, c'est que les politiques sont de moins en moins condamnés. Quand on parle de délinquance du personnel politique, on parle en général d'atteinte à la probité qui regroupe les classiques corruption, trafic d'influence et prise illégale d'intérêt. Et on a beau en parler beaucoup plus ces dernières années avec des affaires hypermédiatisées, on assiste paradoxalement à une chute des condamnations qui ont diminué d'un tiers entre 2000 et 2018.
Et si on condamne moins, ce n'est pas parce que nos politiques sont devenus exemplaires. Le nombre de cas d'atteinte à la probité reste plutôt stable. C'est le nombre de relaxes, c'est-à-dire de prévenus déclarés non coupables, qui augmente : 26,2 %, c'est 3,5 fois plus de relaxes que pour le reste des infractions pénales.
Devant un tribunal, une procédure dure en moyenne un an. Mais pour les affaires d'atteinte à la probité, on est sur une durée de 5 à 6 ans. Des cas complexes, difficiles à juger avec de nombreux protagonistes particulièrement bien défendus.
Les politiques font appel environ cinq fois plus que la moyenne. Bref, juger les politiques en France, c'est toujours une tannée, mais ce n'est pas forcément le cas partout. En Norvège par exemple, c'est tolérance zéro.
En 2020, on a vu un ancien député être condamné à onze mois de prison ferme pour des notes de frais fictives, alors qu'en France il y a une certaine culture de la magouille. Et c'est un fait, les Français tolèrent plutôt bien la corruption. 31 % des Français ne dénoncerait pas des faits de corruption s'ils en étaient témoins.
La majorité d'entre eux se dit opposée à la délation, par principe. Seuls 49 % des Français jugent très grave d'accepter les pots de vin, contre 67 % pour la moyenne européenne. Ainsi va la vie.
C'est le milieu politique qui induit ça. C'est pas les personnes. La force des élites, c'est de faire croire que l'espace social dans lequel il vit est particulier, qu'il a ses règles propres et que donc la justice ordinaire n'y a pas sa place.
Et les premiers à être tolérants à la corruption, c'est les politiques. En réalité, ils ne se perçoivent de fait pas comme étant des délinquants comme les autres. Et même quand ils sont en prison, on constate à travers des enquêtes qui sont menées, que la manière dont ils sont traités en prison, tant par leurs codétenus que par les gardiens, est totalement différente des autres détenus.
Donc, je dirais qu'il y a quelque chose qui n'est pas juste lié à la justice. Nicolas Sarkozy, quand il est condamné à un an de prison ferme dans l'affaire Bygmalion, on l'amène pas en cellule, non. On l'invite au plateau de TF1 pour le journal de 20 h.
On me condamne à trois ans de prison. C'est une injustice. Et il va terminer, et ça c'est magnifique, l'interview en demandant aux journalistes : "Si vous n'aviez pas la conviction que j'étais un homme honnête, est ce que vous me réserviez un tel accueil ?
" Tout est dit. Il y a vraiment un traitement différentiel à tous les niveaux et pas seulement au niveau de la justice. Ce traitement différencié, c'est aussi ces peines de prison ferme purgées à domicile, comme Jérôme Cahuzac qui a passé un moment à l'ombre mais à l'ombre du soleil de Corse.
C'est ici, derrière les murs de cette villa, que l'ancien ministre purge sa peine sous bracelet électronique. Des peines de sursis ou aménagées presque indolore, qui se traduisent aussi par le fait que chez nous, des élus condamnés n'ont aucun mal à se faire réélire. Les politiques véreux ne finissent pas en prison.
Mais au final, est-ce que c'est si grave ? L'emprisonnement, c'est vraiment la pire des solutions pour tirer les conséquences d'un délit ou d'un crime. Parfois, c'est nécessaire, mais s'il y a des alternatives à l'enfermement, il faut les privilégier.
Et je pense que la mansuétude dont il est fait preuve à l'égard des politiques dans l'aménagement des peines, c'est-à-dire soit par du sursis, soit par un bracelet électronique, cette mansuétude-là, elle devrait être la règle commune. Il semblerait en tous les cas que la prison ou le système pénal de manière générale, n'a pas un effet dissuasif sur le passage à l'acte délinquant, quel qu'il soit. En réalité, ce qu'on aimerait vraiment bien maintenant, c'est que tous ces hommes d'affaires pourris, tous ces hommes politiques pourris, ils aillent un peu voir en prison comment ça se passe parce que ça suffit.
Mais ça, c'est qu'un instinct de vengeance primaire quoi. Et peut-être qu'on fait pas grand chose d'intelligent avec ce type d'instinct. Pour résumer, si les politiques ne vont pas en prison, c'est parce qu'ils sont protégés, qu'ils sont très peu condamnés, et qu'on a tendance à les pardonner.
Alors si vous trouvez ça injuste, rappelez vous qu'il y a une sanction qui, elle, marche vraiment, c'est la sanction électorale. Et elle, c'est vous qui la prononcez.
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