Ravie de vous retrouver pour ce nouveau numéro du Dessous des Cartes. Aujourd’hui deux cartes pour commencer, deux cartes à la une de l’actualité depuis plusieurs mois. Celle de l’Ukraine, envahie par la Russie depuis 2014 puis février 2022.
Et celle de la bande de Gaza, elle aussi dans la guerre depuis l’attaque terroriste du Hamas en Israël le 7 octobre dernier et la riposte israélienne violente qui a suivi. Deux cartes et les mêmes images de désolation : ruines, victimes, blessés, déplacés, c'est la guerre "à l’ancienne", sur terre, en mer et dans les airs, mais aussi la guerre version XXIe siècle, des drones, des attaques cyber, des opérations de désinformation, la bataille de l’opinion mondiale. L’occasion pour nous de dresser un état des lieux des guerres de notre siècle en les comparant à celles du siècle précédent.
XXIe siècle, combien de guerres ? Sortons nos cartes. Pour commencer, voici la carte des conflits armés en 2024, classés en deux grandes catégories.
D’une part, les conflits entre deux états, avec la guerre Russie-Ukraine depuis l’annexion de la Crimée en 2014. D’autre part, les conflits à l’intérieur des États, on en compte une cinquantaine au Moyen-Orient, en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Commençons par l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en février 2022 : une guerre entre deux États sur le sol européen, du jamais vu depuis les guerres dans l’ex-Yougoslavie.
Les armées des deux pays combattent avec des armements lourds. Voici la ligne de front en mars 2022, et deux ans plus tard, en février 2024. On estime le nombre des militaires tués dans cette période à 31000 Ukrainiens et 88000 Russes.
Cette guerre très médiatisée, avec ses images de villes bombardées et de colonnes de chars, cache d’autres types de conflits beaucoup plus nombreux : des conflits à l’intérieur même d’un État avec dans certains cas des implications régionales ou même mondiales. C’est ce qu’on va voir maintenant. Premier cas : la guerre à l’intérieur d’un État avec intervention étrangère, comme en Syrie.
2011, la révolution démocratique née dans le contexte des printemps arabes est réprimée dans le sang par Bachar el-Assad. Au fil des années, le territoire syrien se fracture en zones contrôlées par différentes factions, - le régime et ses alliés, les Kurdes, l’État islamique, et bien d’autres. La guerre civile entre Syriens s’internationalise avec l’intervention l’Iran et de la Russie qui soutiennent le régime de Damas, mais aussi, les Etats-Unis, la Turquie, l’Arabie saoudite ou le Qatar, contre l’État islamique.
Deuxième cas : une guerre civile devenant régionale. Prenons l’exemple du Nigeria. Dans le nord du pays, à partir de 2010, les combattants de la secte islamiste Boko Haram multiplient les attentats et les enlèvements et affrontent l’armée nigériane.
Chassés des villes, ils se réfugient dans les forêts et les zones marécageuses autour du lac Tchad. La guerre déborde alors au Niger, au Tchad et au Cameroun, alors que les djihadistes sahéliens se rallient à Al Qaïda et à l’État islamique pour donner un écho international à leurs combats. Dernier type de conflits internes : ceux qui restent cantonnés dans les frontières d’un seul pays.
Au Mexique ou au Brésil, par exemple, les gangs liés aux trafics de drogues se battent entre eux avec des arsenaux d’armes lourdes. Et les affrontements avec la police font des milliers de morts chaque année. Autre exemple : la guerre policière d’un état autocratique contre une partie de sa population.
En Chine, dans le Xinjiang, le gouvernement de Pékin utilise les forces de police pour mener une véritable guerre contre le peuple Ouïghour : internement d’un demi-million de personnes dans des camps, travaux forcés, stérilisation, assassinats, et bien d’autres violations des droits humains. Alors à présent intéressons-nous aux victimes civiles et militaires que font ces guerres. Sur cette carte, plus la couleur est foncée, plus le nombre de morts est élevé.
Les populations civiles en particulier sont les victimes directes des guerres actuelles. En effet, les conventions internationales censées régir le droit de la guerre sont bien souvent ignorées : prises d’otages du Hamas ; bombardements des hôpitaux de Gaza par l’armée israélienne ; viols de masse en République démocratique du Congo ou anéantissement du théâtre de Marioupol en Ukraine, pour ne citer que quelques exemples. Résultat : les guerres créent des mouvements migratoires importants.
Certains habitants vont trouver refuge dans des régions épargnées du pays : en Ukraine, en Colombie, en Syrie, au Yémen, en République démocratique du Congo, ces déplacés internes se comptent par millions. Une autre partie des civils quittent leur pays. On parle alors de réfugiés.
Des millions de Syriens, d’Afghans et d’Ukrainiens vivent ainsi dans des pays d’accueil. Alors à présent, un constat statistique : Au total en 2022, on comptait une cinquantaine de conflits ouverts dans le monde. C’est 3 fois plus qu’en 1946.
En effet, les guerres coloniales et les guerres entre États ont diminué depuis la Seconde Guerre mondiale, mais les guerres civiles et régionales, elles, n'ont cessé d’augmenter, avec toutefois considérablement moins de morts. Alors revenons un instant en arrière. Après la grande hécatombe mondiale de 1939-1945, le monde est secoué à partir des années 1950 de guerres libération nationales ou post-coloniales.
- En Asie tout d’abord. Guerre de Corée, écartelée entre les Etats-Unis et le bloc communiste ; guerre d’Indochine puis du Vietnam, contre la France puis les Etats-Unis ; guerre d’indépendance de l’Indonésie contre les Pays-Bas - Luttes anticoloniales dans toute l’Afrique et au Maghreb. Par exemple, en Algérie, sous tutelle française ; en Égypte, sous influence Britannique ; ou encore au Congo, sous domination belge.
Les indépendances des anciennes colonies européennes débouchent ensuite sur des guerres territoriales entre voisins, voyons lesquels : - au Cachemire tout d’abord, entre l’Inde et le Pakistan, à trois reprises 1948, 1965 et 1999 ; - au Moyen-Orient, avec deux guerres israélo-arabes, 1967 et 1973 ; - mais aussi, de 1980 à 1988, la guerre entre l’Iran et l’Irak, la plus meurtrière de cette époque. Dans les années 1990, la dislocation de l’Union soviétique entraîne des conflits dans le Caucase : Arménie-Azerbaïdjan, Russie-Géorgie, Tchétchénie. En 1992, l'éclatement de la Yougoslavie ramène la guerre sur le sol européen, en Bosnie-Herzégovine, puis au Kosovo.
En 1994, la guerre civile au Rwanda déclenche le génocide de 800 000 Tutsis par les Hutus. Il sera suivi d’une guerre dans l’est de la République démocratique du Congo qui fera des millions de morts. Au XXIe siècle, le contexte géopolitique a profondément changé avec l’émergence de nouveaux impérialismes et l'affaiblissement de la légitimité de l’Occident.
Dans un monde désormais multipolaire, le système de sécurité collectif des Nations-Unies est remis en cause de toutes parts, les guerres se multiplient et se transforment, c’est ce qu’on va voir maintenant. En 2024, on ne compte plus que 11 opérations de maintien de la paix des Nations-Unies dans le monde, avec des résultats bien incertains. L'échec le plus cuisant des Casques bleus est sans doute le départ de la MINUSMA du Mali en 2023.
Après 10 ans de soutien à l’armée malienne contre les djihadistes, les forces de l’ONU ont été chassées par la junte qui a pris le pouvoir à Bamako. L’armée française, elle aussi, a été priée de plier bagages. Et puis il y a La fragilité économique, politique et climatique de nombreux états.
Elles contribuent la multiplication des conflits. Vous voyez sur cette carte les pays les plus stables en bleu et vert ceux qui sont les plus instables, en rouge. En Éthiopie par exemple, la guerre civile menace de reprendre, après deux ans de combats dans la région du Tigré de 2020 à 2022.
D’autres provinces se rebellent désormais contre le pouvoir central d’Addis Abeba qui veut intégrer les forces spéciales régionales à l’armée et à la police fédérales. Autre spécificité du XXIe siècle : le caractère interdépendant des conflits. Ainsi, le conflit Hamas Israël et ses répercussions en mer rouge.
Au Yémen, le gouvernement de Sanaa a été renversé en 2014 par les rebelles houthistes qui contrôlent aujourd’hui une grande partie du pays, dont la capitale, malgré le soutien de l’Arabie saoudite au régime yéménite reconnu internationalement. Par solidarité, disent-ils, avec les habitants de Gaza, les Houthis ont en effet lancé des attaques de drones contre les navires marchands qui transitent par la mer Rouge. Effet domino : les Etats-Unis et leurs alliés ont répliqué par des raids et une présence militaire renforcée dans la zone.
Les actions des houthis et leurs perturbations sur le commerce mondial nous rappellent aussi combien la conduite de la guerre a changé : les drones sont devenus l’arme de guerre par excellence des conflits asymétriques, mais ils sont aussi utilisés sur le théâtre ukrainien. Autre visage des conflits actuels, les compagnies militaires privées, telle la célèbre milice russe Wagner, aujourd'hui remplacée par l’Africa Corps. Les guerres se sont aussi déplacées : le cyberespace est devenu le lieu de nouvelles confrontations entre les puissances, qui s’y battent à coups de logiciels malveillants et de trolls, et mènent des opérations de déstabilisation chez les adversaires.
La guerre devient alors hybride. Enfin pour terminer : voici les 15 plus gros budgets militaires mondiaux, - Etats-Unis en tête. Et par ailleurs, voici les 3 pays qui ont exporté le plus d’armes entre 2019 et 2023 : sur le podium les Etats-Unis, la France et la Russie.
Voilà pour cet état des lieux des guerres de notre siècle et du précédent, avec l’actualité sombre des derniers mois. Qui se souvient encore qu’à l’aube des années 2020, on se réjouissait de constater que les guerres inter-étatiques semblaient en voie de disparition, que les grandes puissances prenaient grand soin d’éviter toute confrontation directe entre elles. Aujourd’hui, les bruits de botte se multiplient, en Europe notamment.
Bref, l’éternel recommencement de l’Histoire ou comme disait l’écrivain Jean Giraudoux : la paix n’est rien d’autre que l’intervalle entre deux guerres. Pour aller plus loin, nous vous recommandons ces deux ouvrages et d’abord celui-ci Guerres et conflits armés au XXIe siècle aux presses de SciencesPo. Et puis c’est avec lui que nous avons préparé cette émission, le chercheur Amael Cattaruzza publie cet atlas des guerres et des conflits aux éditions Autrement.
Ainsi s’achève ce nouveau numéro du Dessous des Cartes, rendez-vous bien-sûr la semaine prochaine, même endroit, même heure. Et d’ici là, n’oubliez pas, arte. tv et nos réseaux sociaux pour retrouver l’ensemble de nos vidéos.
À bientôt.