C'est “le” projet architectural le plus dingue du XXIᵉ siècle. Une ville de 170 kilomètres de long, construite en plein milieu du désert, au nord-ouest de l'Arabie saoudite. Sur le papier, c'est une utopie : une cité durable, véritable centre technologique au carrefour des routes maritimes.
La Silicon Valley du Moyen-Orient. Une vision façonnée à grand renfort d'images de synthèse toutes plus folles les unes que les autres. Un rêve qui porte un nom : Neom.
Mais ce rêve est en train de virer au cauchemar. La ville accumule les retards et les critiques. Le PDG du projet a quitté le pays après avoir démissionné et le site est accusé d'accueillir les pires dérives : viols, tentatives de meurtre, trafic de drogue.
On fait le point. Riyad, 24 octobre 2017. Dans un pays réputé ultraconservateur, le jeune prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, fait une déclaration détonante.
Dans la foulée, il annonce Neom, une zone de développement économique établie au nord ouest de l'Arabie saoudite, sur les bords de la mer Rouge. Le projet est soutenu par plus de 500 milliards de dollars provenant du gouvernement saoudien, de son fonds souverain et d'investisseurs locaux et internationaux. Il faut attendre cinq ans pour obtenir les premiers détails : des images de synthèse à couper le souffle.
Une ville en forme de ligne, “The Line”, longue de 170 kilomètres et bordée de deux gigantesques gratte-ciel parallèles dont la façade extérieure est recouverte de miroirs. A l'intérieur, jardins verticaux, centres technologiques, système ferroviaire à grande vitesse pour relier les deux extrémités de la ville. Une ville qui serait entièrement alimentée par des énergies renouvelables.
The Line prévoit d'accueillir 1,2 million d'habitants en 2030 et 9 millions à terme en 2045. Et ce n'est pas tout. Le projet comprend également une île de luxe dans la mer Rouge, une ville en forme d octogone ainsi qu'une station de ski.
Ah merde ! Ça me coupe les jambes, ça ! Comment ça se fait ?
Car en 2022, la candidature de l'Arabie saoudite a été retenue pour accueillir les Jeux asiatiques d'hiver en 2029, dans une zone désertique et montagneuse où des pistes de ski seront créées grâce à de la neige artificielle. Et si vous avez l'impression que ça commence à faire un peu beaucoup, c'est normal. Fils préféré du roi Salmane, MBS, comme on le surnomme, est bien décidé à marquer son époque.
Neom fait partie d'un plan de développement plus large pour l'Arabie saoudite, baptisé “Vision 2030”. Objectif : diversifier l'économie du pays en réduisant sa dépendance au pétrole. Tout ça coûte cher.
Plus de 7. 000 milliards de dollars. Une sacrée somme, même quand on nage dans le pétrole comme l'Arabie saoudite.
Déjà trop chère, la ville futuriste “The Line” a d'ores et déjà été revue à la baisse. Elle ne devrait plus mesurer que 2,4 kilomètres d'ici à la fin de la décennie, au lieu des 170 initialement annoncés, selon l'agence Bloomberg. C'est un peu comme si la Tour Eiffel n'avait finalement mesuré que 4,40 mètres.
Mais il y a plus grave, et l'utopie est carrément en train de se transformer en dystopie. D'après une enquête du Wall Street Journal, le chantier est un danger permanent pour ses quelques 100. 000 travailleurs.
Des employés ont signalé des cas de viols collectifs, de tentatives de meurtre et de trafic de drogue sur le site. Réponse de Neom : des “incidents” à la marge, qui s'expliquent par le fait de regrouper beaucoup de travailleurs dans une partie normalement isolée du monde. Autre signe inquiétant, le PDG de Neom, Nadhmi Al-Nasr, a brusquement quitté son poste fin 2024, sans que le pays s'étende sur les raisons de ce départ.
Dans une précédente enquête, le Wall Street Journal avait déjà pointé des comportements inappropriés de ce PDG. Un PDG par intérim a été nommé. Il dirige depuis 2018 un programme immobilier du très riche fonds d'investissement public du Royaume et possède à ce titre “une compréhension profonde et stratégique de Neom.
” Le communiqué précise que l'entreprise entre dans “une nouvelle phase”. Une station balnéaire de luxe sur la mer Rouge. C'est le premier bout de Neom à sortir de terre.
Ouverte en octobre 2024. Sindalah se veut la preuve vivante de la viabilité du projet. Même si on est loin du gigantisme de la vision initiale, le message est clair : le projet est toujours en marche.