Ici, la tige derrière ne tient vraiment pas. Elles sont démolies ! Je vais vous parler de mes deux pires achats premium des derniers mois.
Vous aussi, vous avez déjà payé des vêtements et vous l'avez regretté ? Et au contraire, vous ne quittez jamais votre tee-shirt acheté 5 € ? Dans la mode, on a un peu l'impression que la qualité ne dépend plus du prix.
Alors, les vêtements moins chers sont-ils vraiment de moins bonne qualité ? Bon, avant de répondre à la question, il faut se pencher sur ce qui fait la qualité d'un habit. Il y a plusieurs éléments.
Mais le premier, bien sûr, c'est Prenons l'exemple d'un pull en laine. Quand on regarde différentes marques à des prix variés on se rend compte tout de suite que le 100 % laine, c'est rare. De plus en plus, on retrouve des “mix” de matières où les fibres synthétiques sont autant voire plus présentes que la laine.
Cet exemple est symptomatique de toute l'industrie. Aujourd'hui, les fibres synthétiques, majoritairement faites à partir d'hydrocarbures, représentent deux tiers de la production textile mondiale. Et sans surprise, ce sont des marques d'ultra fast fashion qui en utilisent le plus dans leurs vêtements.
La raison, c'est avant tout le prix. Le polyester, la fibre synthétique la plus utilisée, coûte deux fois moins cher que le coton. Mais quelles sont les conséquences en termes de qualité ?
En fait, les matières synthétiques sont plus résistantes, c'est-à-dire qu'elles sont plus solides. Elles vont moins se déchirer, moins décolorer, même moins rétrécir au lavage. Par contre, elles sont généralement moins agréables à porter.
Julia Faure a cofondé une marque de vêtements éthiques et elle est la coprésidente du Mouvement Impact France. Les matières naturelles comme la laine, le coton ou le lin ont des propriétés qui font que c'est plutôt agréable de les porter. Alors que le polyester, ça ne sent pas très bon quand on le porte longtemps.
“Oh, mon dieu ! ” C'est déjà une raison pour laquelle des vêtements moins chers ne sont pas forcément plus fragiles. Par contre, pour produire à moindre coût, les marques ont rogné sur les coutures, la coupe, les finitions.
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Toutes ces attentions qui font la qualité d'un vêtement. Et toute l'industrie les a suivies. Ce qui fait que les vêtements sont pas chers, c'est en partie des économies sur la quantité de matières et l'attention qu'on peut porter à la confection.
Mais c’est surtout surtout d'avoir délocalisé la production dans des pays où la main d'œuvre n’est pas chère. Cette délocalisation de la production a connu une accélération à une date clé : C'est la fin de l'Arrangement multifibres, soit des quotas qui encadraient le commerce mondial des produits de textiles et d'habillement depuis trois décennies. Jusqu'à cette date, les importations d'Europe et des Etats-Unis en provenance d'Asie étaient limitées en termes de volume.
Conséquence : en six mois, les importations chinoises au sein de l'Union européenne explosent. L'arrivée de pantalons chinois augmente de 712 %, les pulls de 656 % et les tee-shirts de 387 %. Les effets sont immédiats.
Au cours des six premiers mois de l'année, la production française s'effondre. Moins 30 % dans les filatures, moins 20 % dans le tissage. Beaucoup de distributeurs ont saisi l'aubaine pour s'approvisionner à moindre coût, sans aucune contrainte, sans aucune limite.
Gildas Minvielle est économiste. Il travaille à l'Institut Français de la Mode. C'est à partir de cette date qu'on a vu l’explosion de la part que représentait l'Asie dans les importations de vêtements.
Aujourd'hui, l'Asie représente 70 % des importations européennes de vêtements en valeur. Entraîné par la fast fashion, c’est tout le secteur qui s'est mis à produire plus vite et moins cher. Pourquoi l'industrie textile a pris ce mauvais chemin ?
C'est qu'il y a ce qu’on appelle une “prime au vice” dans le marché. C’est-à-dire que plus une marque fait mal, plus elle va être rentable. C'est-à-dire que si une marque décide de délocaliser sa production de la France vers le Bangladesh, Ses coûts de production vont être divisés par dix.
Donc, soit elle va pouvoir vendre moins cher et donc avoir un avantage compétitif, soit elle va pouvoir faire plus de marges. Donc il n'y a pas d'intérêt économique pour les marques de faire de la bonne qualité, de produire dans des bonnes conditions, etc. Ça se traduit aussi dans les achats des consommateurs.
Pour plus de la moitié des Français, le premier critère d'achat d'un vêtement, c'est le prix. En 2023, ils mettaient en moyenne 15,60 € par achat de textiles et de chaussures. Résultat, sur dix vêtements achetés en France, sept sont du low cost.
La plupart des gens, venant de la plupart des classes sociales, ce ne sont pas du tout que les pauvres, tout le monde achète du low cost et de la fast fashion. D'ailleurs, la fast fashion, ce n'est pas toujours ce qu'on croit. Les sites Shein, Temu ou Boohoo sont devenus les symboles de la surconsommation à prix dérisoire.
Mais en France, les marques qui vendent le plus de vêtements sont des enseignes de grande distribution classique. Avec mes baskets Lidl, il ne peut rien m'arriver. Tu crois qu’on a le temps, ou quoi, toi ?
Maintenant qu'on a dit tout ça, peut-on faire le raccourci que des vêtements pas chers sont de mauvaise qualité et que des vêtements plus chers sont de bonne qualité ? Le problème du consommateur aujourd'hui, c'est qu'il est un petit peu perdu parce que je considère qu'il y a beaucoup de grandes marques qui ont joué sur le flou. Gauthier Borsarello est directeur créatif de Fursac.
C'est un grand fan de vêtements vintage. Le rapport qualité prix, malheureusement, a un peu disparu naturellement du marché. C'est-à-dire qu'à l'époque, cher : bien, pas cher : pas bien.
C'était aussi basique que ça. Maintenant, les lignes sont beaucoup plus floues que ça parce qu’ils vendent des produits très chers qui ne sont pas forcément de qualité. C'est ce qu'a montré une étude de la School of Design de l'Université de Leeds.
Elle a testé la durabilité de plusieurs tee-shirts, pulls et jeans dont les prix allaient de moins de 10 € à plus d'une centaine d'euros. La conclusion, c'est que les vêtements de fast fashion ne sont pas moins résistants que les autres. Par exemple, dans les jeans pour femmes, le plus résistant, c'est un jean haut de gamme.
Mais les deux suivants, ce sont de la fast fashion. Aujourd'hui, on a de la chance avec la mondialisation de trouver des bons produits de qualité à bas prix parce que mondialisation et utilisation mauvaise des humains. Donc en fait, il y a aussi ce problème-là.
On peut se dire : “Je vais chez une marque qui fabrique en Chine, il y a un très bon produit. ” Mais il n'est pas cher parce qu'il a été fabriqué dans des conditions odieuses. Les conditions de travail, c'est ce qui explique que des vêtements pas chers peuvent être de bonne qualité.
Par ailleurs, ce qu'on observe, c'est que même quand ils sont de meilleure qualité, on porte moins longtemps des habits pas chers que du haut de gamme. À l'époque, il y a 50-60 ans, tout le monde se battait pour faire la meilleure qualité possible parce que les gens portaient leurs vêtements très longtemps, donc ils avaient le temps de voir si un vêtement était de qualité ou non. Aujourd'hui, les gens changent tous les trois, six mois, tous les ans de vêtements.
Donc de faire un mauvais vêtement, ils ne vont même pas s'en rendre compte parce qu'ils le portent trop peu pour s'en rendre compte. Il y a plein de raisons qui expliquent qu'on garde nos habits moins longtemps qu'avant, particulièrement nos habits pas chers. À cause des effets de mode, parce qu'ils sont moins agréables à porter et surtout parce qu'on pense inconsciemment qu'ils sont de moins bonne qualité, même quand ce n'est pas le cas.
C'est ce que dit une autre étude qui porte cette fois sur des tee-shirts noirs pour femmes. On y apprend que les participantes ont tendance à être pessimistes sur la durée de vie des tee-shirts de fast fashion et qu'elles peuvent donc avoir le réflexe de le jeter avant même que le tee-shirt soit réellement hors d'usage. Structurellement, les vêtements pas chers sont des vêtements jetables.
Vous pouvez faire des vêtements pas chers d'extrêmement bonne qualité, comme c'est moins cher de jeter et racheter que de réparer, ça en devient des vêtements jetables. Donc, je crois que c’est la dernière chose à avoir en tête. Quand on achète un vêtement, est-ce qu'on mettra l'énergie d'en prendre soin, de le réparer, de le faire durer et d'accepter comment il va vieillir ?
Bon, maintenant qu'on a dit tout ça, il nous reste une dernière question. On a demandé à Gauthier Borsarello de nous le montrer à partir de son stock de pièces vintage. Ça, c'est une veste de pêche des années 1970 qui a été fabriquée au Japon.
Je voulais vous la montrer parce que ce n'est pas un très bon vêtement. Les coutures sont très grossières, c'est assez gros, le point est mal réglé. Elle est entièrement surjetée.
Il y a une couture ouverte dehors qui fait que ça va s'ouvrir assez facilement. La matière est un polycoton avec des fibres très courtes. Donc on voit qu’elle n’a quasiment jamais été portée et déjà ça bouloche, parce que les fibres sont courtes, donc elles sortent.
Donc c'est aussi pour vous montrer que dans le passé, il n’y avait pas que des trucs bien. Cette veste est ancienne mais pas très bonne. Donc ça, c'est un vêtement d'une même catégorie, disons, d’outdoor, d'extérieur, pour chasse, pêche.
Donc c'est un whipcord de laine extrêmement dense qui est vraiment fait pour l'extérieur. Elle est beaucoup plus ancienne, elle date des années 1950. Toutes les coutures sont double aiguille.
Elles ont tenu bien plus longtemps que l'autre. Les points sont serrés, ils sont parfaitement réglés et on sent qu'elle est faite pour vraiment durer beaucoup plus longtemps que l'autre. C'est avant cette industrialisation un peu un peu violente qu'on a connue dans les années 1970-1980.
C'est la “bonne version” ou une des bonnes versions de faire un vêtement technique d'extérieur. Voilà. Avec des meilleures coutures, meilleure matière, meilleur montage, tout est beaucoup mieux sur ce modèle-là.
Et quand on n'a pas l'oeil aussi habitué que Gautier Borsarello, c'est parfois compliqué de distinguer un vêtement de bonne qualité d'un vêtement de moins bonne qualité. Alors voici ses conseils. Premier réflexe : la composition.
Si vous voyez que c'est un polycoton, ce n'est pas top. Ça va moins bien vieillir parce qu'un coton 100 %, oui, il peut s'abîmer, il peut se détendre, etc. Mais vous pouvez le réparer.
Et ensuite la coupe. Plus vous voulez quelque chose de près du corps, plus il faudra rajouter du synthétique pour ça tienne. Il faudra de l’élasthanne.
Ça va mal vieillir, ça ne va pas faire un vêtement qu’on pourra réparer facilement. Voilà, ce sont des petits réflexes à avoir. Vous l'aurez compris, pour trouver un bon vêtement, il n'y a pas de règle.
Si un petit prix ne veut plus rien dire sur la qualité, il y a une chose qui est sûre, c'est qu'il détermine les conditions de fabrication.