Quand elle parle aux gens, Kamala Harris a 2 grandes passions. Raconter sa vie. Et critiquer Donald Trump.
Tout ça relève d'une stratégie évidente. Dire du bien de soi, dire du mal de l'adversaire. Pourtant, c'est plus subtil qu'il n'y paraît.
Ce langage cache en fait un seul et unique objectif. Pour le savoir, avec l'aide de 2 linguistes, Bonjour. nous avons analysé des dizaines de ses prises de parole.
Voici ce que nous avons découvert sur l'histoire que Kamala Harris veut nous raconter. 22 juillet 2024. Joe Biden jette l'éponge.
Sa vice-présidente, Kamala Harris, le remplace dans la course à la Maison-Blanche. Problème, il ne lui reste qu'une centaine de jours pour convaincre les Américains de voter pour elle. Sa solution : affirmer, dès sa première prise de parole, qu'elle est à l'extrême opposé de Donald Trump.
Cette construction en opposition, elle la répète à 4 reprises. Ce procédé rhétorique a un nom : l'antithèse. L'antithèse consiste à rapprocher dans une phrase ou un paragraphe 2 éléments contradictoires pour exagérer le contraste.
Une fois son opposition marquée, elle utilise une autre astuce rhétorique : la délocution. La délocution, c'est quand on rend invisible une personne. Par exemple, dans son discours à la Convention démocrate de 2024, Kamala Harris utilise 16 fois le nom de Trump.
Mais à 28 reprises, pour parler de lui, elle utilise le pronom "il". Par cet emploi du "il", on met la personne à distance de nous. Et en même temps, on peut, avec ce "il" dans le contexte politique, dresser un portrait délétère de la personne dont on parle.
Il est comme ceci, il est comme cela. On intériorise l'idée et on la prend pour vraie. Mais pour s'opposer à Trump, la critique ne suffit pas.
Kamala Harris essaie aussi d'insuffler l'espoir. L'espoir d'un avenir meilleur. Et cela s'observe dans le choix des mots qu'elle utilise.
Prenons par exemple le débat entre les 2 candidats. Dès sa première prise de parole, Harris utilise beaucoup plus de mots positifs que Trump dans la sienne. Quant à Donald Trump, c'est le contraire.
Harris utilise aussi beaucoup plus de phrases identifiées par nos linguistes comme positives. Dans sa conclusion, elles en comptent 11, quand chez Donald Trump, elles n'en identifient que 2 dont une pour parler du passé. Ce contraste n'est pas nouveau.
Déjà en 2020, dans son discours de prise de fonction comme vice-présidente, Patricia Friedrich identifie une trentaine de mots positifs utilisés par Kamala Harris en moins de 3 minutes. Soit une dizaine de mots positifs par minute de discours. 4 ans plus tôt, Donald Trump, lors de sa prise de fonction comme président, en utilisait une cinquantaine en 16 minutes de discours.
Soit 3 fois moins. Le 23 août 2024, à la tribune de la Convention démocrate, dans un storytelling bien calculé, la candidate se raconte au peuple américain. On remarque que son discours est souvent cadré en 3 temps.
Premièrement, son histoire familiale. Et ensuite, elle va très rapidement rappeler à l'auditoire ses succès pour asseoir un premier palier de légitimité. Et enfin, dans un troisième temps, elle va valoriser ses succès en tant que vice-présidente pour prouver sa légitimité présidentielle.
C'est quelque chose qui suscite des émotions fortes puisqu'on se dit finalement : "Derrière mon bureau, je peux devenir comme elle". Ce discours est très bien rodé. Normal, elle le répète depuis des années.
Dans le cadre d'une campagne éclair, son récit autobiographique lui permet d'atteindre simultanément plusieurs de ses objectifs. Écoutez bien, ça se passe en 3 actes. D'abord, Kamala Harris évoque sa mère et ses origines modestes.
Ensuite, elle présente Missy Shelton, sa voisine noire, patronne d'une petite crèche de quartier. Manière de valoriser l'esprit de communauté afro-américain, mais aussi à travers cette histoire, manière de convaincre de son attachement aux petits entrepreneurs. Point essentiel de son programme.
Avec cette anecdote plutôt simple, Kamala Harris fusionne son histoire, ses valeurs et sa vision de l'économie. Figures rhétoriques, storytelling, comme de nombreux politiques, Kamala Harris maîtrise les stratagèmes pour convaincre. Mais dans cette course contre Trump, elle doit aussi faire avec une contrainte imposée.
Un phénomène que les chercheurs ont baptisé l'injonction paradoxale. En femme d'autorité, Kamala Harris doit prouver qu'elle peut endosser une fonction jusque-là occupée par des hommes, et ce dans un monde où l'autorité des femmes dérange encore un certain public. Elle doit alterner les styles conversationnels, c'est-à-dire se montrer à la fois autoritaire, confiante, capable d'assurer la fonction présidentielle, se montrer assertive et à la fois jouer sur les codes associés à la féminité.
Cette injonction paradoxale, Kamala Harris la déplorait déjà en 2010 avec un humour grinçant. Une bonne histoire pour se raconter et convaincre. L'appel à l'espoir et à l'unité du peuple par-delà ce qui le divise.
Un discours en parfaite opposition à celui de son concurrent. Voilà la stratégie de Kamala Harris pour atteindre un but historique : une femme noire, présidente des États-Unis.