Faire beaucoup avec peu : L'Atlantique en solitaire | Tamara KLINK | TEDxClermont

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TEDx Talks
À 24 ans, Tamara Klink a traversé l’Atlantique en solo sur un bateau acheté « le prix d’un vélo ». À...
Video Transcript:
Transcription: eric vautier Relecteur: Claire Ghyselen « Bateau, je t’aime parce que tu m’offres la plus belle jeunesse du monde. Tu m’accordes les éléments, les rencontres, les joies naïves et essentielles, les plaisirs sensuels. Tu m’apportes l’amitié et l’assurance que, quand je serai grand, je saurai encore être enfant.
» Par mon accent, vous avez peut-être remarqué que je viens d’ailleurs. Mais j’ai appris le français pour pouvoir lire des livres. A l’époque, je ne savais pas qu’un jour, j’allais vivre en France, vivre en français, qu’un jour j’allais venir ici et parler devant vous tous, dans votre langue.
Et je ne savais pas non plus qu’un jour, je préparerais en France mes propres projets de navigation. J’ai connu la mer grâce à l’absence qu’elle me causait, l’absence et le manque de mon père. Mon père était un navigateur solitaire et pendant des mois, il partait très, très loin de la maison.
On vivait avec cette absence, avec ce manque. On se posait la question de pourquoi il laissait la maison alors qu’il aurait pu rester avec nous. Et quand il rentrait, enfants, on était très contentes.
Il nous racontait les rencontres qu’il avait faites avec ces animaux géants qui émergeaient du fond de l’eau et qui étaient pourtant très gentils. Il nous décrivait ces cathédrales faites de glaçons qui étaient plus grandes que notre maison, qui étaient plus grandes que notre quartier. Il nous parlait de ces vents qui étaient tellement forts qu’ils pouvaient faire voler des êtres humains.
Moi, je regardais les plis des draps de notre lit et j’imaginais que ces plis étaient les vagues qu’il retrouvait quand il était en bateau. J’imaginais que les vents qui rentraient par la fenêtre étaient les vents très forts des mers du Sud. Tout ça me faisait beaucoup rêver d’y être aussi un jour.
Quand j’avais huit ans, j’ai eu la chance de faire partie d’un de ses voyages. Ma maman et mon papa ont mis mes sœurs et moi dans son bateau. Et on est allés en Antarctique ensemble.
Et cela m’a apporté un traumatisme duquel je n’ai jamais su me libérer. Ce traumatisme était lié au fait que j’ai découvert que tous ses récits étaient réels, que ces vagues existaient vraiment, que ces icebergs étaient vraiment énormes, et que ces animaux, ils pouvaient passer juste à côté de notre bateau. Sur la photo, c’est ma sœur sur un Optimist, un petit bateau sur lequel on a appris à naviguer dans un réservoir, un étang près de la ville où je suis née, Sao Paulo.
Sao Paulo, c’est un peu la New York du Brésil. Donc on peut se dire que ce n’est pas l’endroit le plus inspirant pour quelqu’un qui veut devenir navigateur. Pour ne pas oublier mon rêve, j’ai construit une forteresse de bouquins autour de moi.
Quand je lisais ces livres, ça me rappelait à chaque fois que ces rêves étaient possibles parce qu’il y avait des gens de mon âge de plusieurs endroits du monde qui en étaient en train de les vivre. A chaque fois, il fallait que je me rappelle que c’était possible parce que quand je prenais le chemin entre l’école et la maison, je passais par les embouteillages, j’aurais pu l’oublier. Un jour, j’ai décidé de faire mon propre projet.
J’avais treize ans. À l’époque, j’ai fait une liste avec tout ce dont j’allais avoir besoin pour faire un voyage en solitaire. Après, j’ai pris rendez-vous avec mon père au petit déjeuner.
Je lui demande si éventuellement il me laisserait partir toute seule. Il dit que oui. Je lui demande si éventuellement son bateau allait être disponible pour faire une navigation.
Il dit que oui, que son bateau serait disponible. Je lui demande s’il peut me prêter son bateau, pour que je navigue toute seule, Il me regarde et me dit : « Tamara. Bien sûr que non.
(Rires) Jamais de la vie je ne te prêterai mon bateau. Si tu veux naviguer toute seule, il faut que tu fasses ton propre chemin. Il faut que tu trouves un moyen de faire un bateau ou de trouver un bateau où tu peux.
Il faut que tu apprennes par toi-même. Il faut que tu ailles chercher tes propres maîtres parce que moi je n’ai rien te donner. Je ne veux pas te donner de conseils, ni de bateau, je ne veux pas te donner d’argent.
Je vais t’aider avec zéro centime. » Il a fait comme ça : zéro ! « Zéro conseil, zéro suggestion.
Tu m’appelles juste pour dire quand tu seras arrivée. » Bon. J’étais un peu déçue.
J’ai trouvé qu’il n’était pas très généreux avec moi. Plus tard, j’ai commencé à faire des études d’architecture parce que je me disais que j’avais des projets à faire. Les cours qui m’apprendraient à faire des projets étaient ceux d’architecture.
Plus tard, je suis allée en France pour faire des études d’architecture navale. J’ai galéré avec le français. J’avais un niveau de français suffisant pour lire un bouquin, mais pas exactement pour parler.
Au départ, je comptais sur la générosité de mes collègues pour m’expliquer parce que j’avais du mal à comprendre les phrases. Plus tard, j’ai appris qu’en partant de l’école et en allant à ma maison, les rues que je prenais à Nantes avaient les noms des navigateurs que j’avais lus. En France, j’avais l’impression que mes rêves étaient plus possibles.
Donc je n’ai pas voulu partir de France. Quelques années plus tard, pendant le confinement, je venais de rompre avec la personne que je croyais être l’amour de ma vie. À 23 ans.
Ça arrive. Je n’avais plus de maison, puisqu’on vivait ensemble. J’ai décidé de répondre à un mail qu’un follower de YouTube m’avait envoyé.
C’était un mec qui avait l’air d’être un peu fou, qui me disait : « Tamara, j’ai un bateau que je n’utilise jamais. Si tu veux, tu peux venir utiliser mon bateau. Sauf que j’habite en Norvège, à Alesund.
» Je ne savais même pas où Alesund était sur la carte, mais au moment où je n’avais plus rien, c’était peut-être le moment de prendre des risques parce que je n’avais vraiment pas grand-chose à perdre. A ce moment-là, je pars en Norvège avec des plus ou moins connaissances à lui qu’il avait trouvées dans le groupe Facebook. En arrivant là-bas en bateau, il me dit qu’en fait il avait changé d’avis, qu’il ne voulait plus me prêter son bateau.
C’était la deuxième fois que ça m’arrivait, je commençais à être habituée. Au lieu de ça, il allait m’aider à trouver mon propre bateau pour que je parte naviguer toute seule parce qu’il croyait que c’était seulement en ayant le bateau, en étant propriétaire du bateau, que j’allais réussir à prendre des décisions sans avoir besoin de demander son avis à personne. C’est comme ça que j’allais avoir besoin d’apprendre plus vite parce que j’allais payer pour mes erreurs.
On apprend plus vite quand on doit payer pour chaque faute qu’on fait. On commence à chercher un bateau. J’ai trouvé un bateau qui était dans un fjord de Norvège depuis 30 ans.
Il n’était pas trop grand : il faisait huit mètres. C’était un bateau un peu de week-end. Je discute avec les propriétaires.
Ils acceptent de me le vendre au prix d’un vélo. C’était très bien parce que je n’avais même pas ça. Puis, je pars de Norvège pour aller en France.
Pendant un mois, j’ai préparé ce bateau. Je ne l’ai raconté à personne parce que j’étais sûre que, si j’appelais ma maman, si je racontais ce que j’allais faire, j’allais abandonner, car elle allait dire que la mer était trop dangereuse, que je n’avais jamais fait ça, que ça n’allait pas marcher. Je protège mon rêve.
Je n’en parle qu’à des gens dont j’étais sûre qu’ils allaient dire que ça allait bien se passer. Je ne savais pas qu’en Norvège, il y avait autant de cailloux. Mais j'apprends vite.
Le 1er soir, je tape un caillou. Deuxième, je perds le support du pilote automatique. Je dois rester à la barre pendant des heures et des heures.
On apprend vite à faire pipi sur le cockpit si on ne peut pas lâcher la barre. On s’habitue parce que quand c’est à nous de régler les problèmes, on accepte de faire plus de compromis. J’étais toute seule, donc ce n’était pas trop problématique.
Je ne savais pas non plus que, quand on navigue dans les fjords, soit le vent [souffle fort], soit il n’y en a plus du tout. Et donc je mettais toutes les voiles, après je les enlevais toutes, etc. J’ai appris en arrivant en France que mes mains, même si elles ne sont pas très grandes, étaient capables de faire plus que ce que je pensais, et que mes bras, même s’ils ne sont pas trop costauds - vous le remarquez - ils pouvaient aussi faire plus d’efforts que ce que je croyais.
J’ai décidé d’aller un peu plus loin : jusqu’au Brésil. C’était un voyage - (Applaudissements) Ça allait être un voyage quatre fois plus long. Mais au moins, j’avais déjà navigué un petit peu avant.
J’appelle mon pote Henrique - c’est lui qui m’a aidée à acheter le bateau - et il me dit : « Tamara, peut-être que tu devrais changer de bateau, parce que maintenant, le voyage sera un peu plus grand aussi. Tu as fait des vidéos YouTube sur la route, il y a peut-être plus de moyens de trouver des sponsors. - Henrique, tu es fou !
Moi, j’ai le meilleur bateau que je peux avoir. C’est le bateau que je connais déjà. Donc on va rester avec Sardinha - sardine - c’est le nom du bateau - jusqu’à la fin.
On va voir jusqu’où Sardinha peut aller. » Très bien. Heureusement, je n’étais jamais complètement seule parce qu’à chaque fois où je me suis arrêtée, je faisais des belles rencontres.
Je comptais sur l’aide des pêcheurs, des caissières des supermarchés, des touristes qui passaient. Même ceux qui n’avaient pas forcément envie de m’aider, au final, étaient un peu obligés de m’aider, des fois par générosité, des fois par pitié. Mais ça marchait très bien.
Pendant la navigation, je me suis arrêtée dans quelques endroits où je me suis fait plein de copains. J’ai aussi eu quelques difficultés, notamment au niveau du Pot au noir. C’est une région près de la ligne de l’équateur où il y a beaucoup d’instabilité météorologique.
Je pensais que c’était problématique parce qu’il n’y a pas de vent, mais je ne savais pas qu’il y avait ces gros nuages noirs qui peuvent passer et qui amènent beaucoup de pluie et beaucoup de vent qui tourne dans tous les sens. Sur ça, je n’avais pas été trop bien briefée. Mais c’était peut-être une des raisons pour lesquelles j’ai fait ce voyage.
Je pense que, si j’avais su l’ampleur des défis auxquels je devais faire face quand je suis partie, je ne serais jamais partie. En fait, je n’aurais jamais appris que je pouvais les surmonter. Le jour où j’ai pris cette photo, il y avait du vent qui tournait dans tous les sens, très fort puis très faible.
Il y avait la mer qui montait, elle couvrait tout le bateau et il y avait de l’eau à l’intérieur tout le temps, il fallait que je la sorte avec - je ne connais pas le nom de cet objet, mais vous avez compris. J’ai passé toute la nuit à sortir l’eau du bateau et à essayer de régler le bateau. Les pilotes automatiques, ils ont cramé très vite.
D’abord le premier, après le deuxième. Après, je n’avais plus de pilote, je n’avais plus de lumière, plus de feux de navigation. Il fallait que j’y trouve un moyen de montrer aux bateaux que j’étais là.
Je n’avais plus d’antenne de VHF. Au final, j’ai appris que, quand on navigue, plus important que d’être prêt pour faire la navigation et d’imaginer tous les défis qu’on peut y trouver, c’est d’être prêt à résoudre les problèmes auxquels on ne s’est pas préparé. C’est un peu comme la vie, je pense.
Et quand les choses allaient très mal, je me disais : « Tamara, ne t’inquiète pas, reste calme, parce que dans le futur, ça sera bien pire. (Rires) Dans le futur, la mer sera plus grande, les vagues seront plus fortes, le vent aussi. Il va y avoir beaucoup plus d’accélération.
Peut-être qu’il y aura des icebergs, peut-être que tu seras encore plus fatiguée. Profite de l’instant, il ne fait même pas trop froid, c’est la ligne d’équateur. Donc le bateau avance ; ça passe.
Tu as peut-être l’habitude, tu es brésilienne. » C’est comme ça que j’ai traversé ces défis. Le jour de cette photo, il manquait encore une semaine pour arriver.
J’avais envie d’abandonner. J’ai regardé la carte. J’ai regardé cette carte en essayant de trouver l’endroit le plus proche vers où je pouvais m’enfuir.
C’était déjà la ville de Recife qui était la destination. finale que j’avais choisie. Donc ça tombait très bien car personne n’était au courant que j’avais abandonné quand je suis arrivée.
Du coup, je continue - (Applaudissements) Ça, c’est la photo que ma maman a prise quand j’arrivais. Très bien. Il faut savoir qu’elle a dû prendre le téléphone de quelqu’un d’autre parce qu’au moment de la photo, je croyais qu’elle serait là en train de m’attendre, mais elle était en train de faire un live à ses followers.
(Rires) J’ai aussi appris en arrivant qu’apparemment, j’étais très suivie sur les réseaux sociaux. Heureusement que je ne le savais pas parce que j’étais moins stressée quand je faisais des tours sur la carte. Quand je commence à voir les feux de Recife, il y a un bateau qui s’approche de moi.
J’entends la voix de ma maman qui criait : « Ça ne peut pas être elle, ça ne peut pas être Tamara, parce que le bateau est trop petit. » (Rires) OK. .
. Je continue, je passe devant la ville de Recife. Il y avait plein de gens qui attendaient.
Je croyais qu’il y avait un match de foot. Mais c’était pour me voir. Je n’avais plus de pilote automatique, donc c’était un peu galère de rester là et de faire salut aux gens.
(Rires) Ma plus grande crainte, c’était comment faire pour affaler les voiles. Parce que je n’ai pas trois mains, je ne peux pas courir. Il y a des constructions autour.
J’étais habituée à naviguer sans trop regarder parce qu’il n’y avait rien autour de moi dans l’Atlantique. J’étais un peu fatiguée. Je commence à m’approcher du port, je vois qu’il y a une journaliste.
Je vois mon papa. Mon papa, c’est une personne assez connue dans la navigation au Brésil. Elle s’approche de lui et lui demande : « Alors Amyr, est-ce que tu es fier de ce que ta fille a fait ?
» J’ai appris depuis que j’étais la personne la plus jeune du Brésil à avoir fait une transat en solitaire. Donc mon papa - (Applaudissements) Mon papa répond : « Je suis très impressionné parce qu’elle a fait un grand voyage avec un bateau très précaire. » (Rires) (Applaudissements) C’est sûr que si j’avais pu choisir entre tous les bateaux du monde, ce n’est peut-être pas Sardinha que j’aurais choisi, mais Sardinha m’a appris une leçon très importante que je n’aurais pas apprise autrement.
C’est le bateau qui m’a donné l’opportunité d’essayer et pour ça, je serai toujours très reconnaissante. La leçon qu’elle m’a apprise, c’est qu’on pouvait faire beaucoup avec très peu et qu’on pouvait aller très loin avec ce qu’on avait déjà. Et ça, c'est l'exercice de notre temps.
Public : Bravo ! (Applaudissements) Merci.
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